Le maire écologiste de Lyon a démarré l’année en renouant avec les formats de vœux de ses prédécesseurs et affiché une volonté de moins se « faire remarquer », voire de « dépolitiser » son discours. Car en 2023, il devra convaincre bien au-delà de sa base écologique pour mettre en route le plan ambitieux qui doit conduire la ville à atteindre la neutralité carbone d’ici à 2030.
Un article de l'Arrière Cour signé Raphaël Ruffier-Fossoul
et illustré par Aurélie Geoffray et Iris Dugauquier.
« Vous êtes aussi des professionnels qui manient mieux l’art de la question que j’ai pu manier l’art de la réponse. J’ai appris à vous connaître. » En s’adressant aux journalistes lyonnais lors de ses vœux à la presse, Grégory Doucet a reconnu volontiers que son début de mandat à la mairie de Lyon avait pu être marqué par des erreurs de « communication », un art qui « ne prenait pas autant de place dans [sa] vie professionnelle auparavant ». Avant les vacances, il avait confié au Monde avoir été échaudé par les polémiques à répétition que ses interventions médiatiques avaient pu déclencher, et assurait désormais : « Je suis devenu très vigilant. J’anticipe les propos que je tiens. » C’est ainsi à dessein qu’il avait attendu que d’autres villes annoncent boycotter la coupe du monde au Qatar pour le faire à son tour, afin de ne pas se « faire remarquer ».
À l’ouverture d’une année qui marquera déjà le mitan de son mandat et, surtout, la mise en route des chantiers qui doivent rendre plus visible la « transition écologique et sociale de la ville », le maire de Lyon semble avoir voulu renouer avec les formes classiques de ses prédécesseurs : il a commencé l’année par un grand raout à l’hôtel de ville de Lyon pour « les vœux aux Lyonnais ». Sous Raymond Barre, c’était l’événement people le plus couru de l’année, le champagne était servi avec des gants blancs au millier de convives qui faisaient la queue pour faire la révérence à l’ancien Premier ministre et à son épouse. Le style a naturellement changé : l’écologiste a choisi de mettre les enfants à l’honneur et leur a servi un long discours sur sa volonté de faire de Lyon la ville des enfants et de développer « un nouveau modèle de prospérité » qui « ne pourra durer qu’en faisant appel à l’esprit de coopération ». « Occupons-nous de Lyon », a retenu Le Progrès, pointant le fait que les élus d’opposition regrettaient le manque d’annonces concrètes et s’étonnaient de l’entendre associer au mot « fraternel » les termes « sororal » et « adelphe » (« enfants nés de mêmes parents » : l’adelphité est une version « dégenrée » de la fraternité).
« Quand je m’adresse à vous, je ne m’adresse pas qu’à vous, ce n’est pas facile »
Avant d’enchaîner avec une tournée des vœux dans l’ensemble des arrondissements comme le faisait Gérard Collomb, Grégory Doucet a renoué avec la cérémonie des vœux à la presse qu’avait inaugurée son prédécesseur à son début de mandat, à une époque où lui aussi peinait à convaincre de sa capacité à transformer la municipalité et où Libération avait pu titrer « Collomb, c’est pas l’Amérique ». Gérard Collomb entretenait avec les journalistes des rapports aigres-doux, faits de relations personnelles, de bonnes formules et de confidences lors de déjeuners arrosés dans les salons cossus de la mairie, de traits d’humour, mais aussi de colères noires et d’interventions répétées auprès des directions des médias, parfois même de leurs actionnaires.
L’élu écologiste, qui ne cesse de répéter son respect de l’indépendance des journalistes, a préféré leur adresser ses vœux en terrain neutre, au Club de la presse, et accepté leur invitation à déjeuner dans un bouchon lyonnais, le café Abel. Pas d’humeur à se démarquer, il a décliné la proposition de menu végétarien pour se régaler comme toute la tablée du menu « chasseur », avec terrine et civet sauce grand veneur. Entre des discours assez théoriques et répétitifs, ce qui a tendance naturellement à ennuyer les confrères, et des propos parfois involontairement polémiques, le maire de Lyon paraît peiner à trouver son équilibre avec les journalistes. « Quand je m’adresse à vous, je ne m’adresse pas qu’à vous, ce n’est pas facile », reconnaît-il. « Il ne suffit pas de le vouloir pour y arriver du premier coup. »
Toutes ces précautions marquent sans doute une année 2023 que le maire imagine comme charnière. Tout d’abord parce qu’il arrive à mi-mandat et aura à cœur de défendre le bilan de ses premières années, au-delà de la gestion des crises du Covid et du coût de l’énergie. Un numéro spécial du magazine municipal sera d’ailleurs adressé prochainement à l’ensemble des Lyonnais dans ce sens.
L’année 2023 sera aussi celle des annonces et du lancement des chantiers qui doivent donner corps à son ambition de transformer la ville. Le plan de piétonnisation sera dévoilé en février et le maire a annoncé que, conformément aux résultats de la concertation publique, il comprendrait la piétonnisation complète de la rue de la République jusqu’à l’hôtel de ville. S’il n’a pas encore annoncé de calendrier, il a « choisi comme méthode d’avoir des gains rapides, c’est-à-dire choisir des portions de route que l’on peut faire sans attendre ».
« Quand on fait l’état des lieux des établissements scolaires dans la ville, on sait qu’on ne pourra pas le faire tenir sur un seul mandat »
Mais 2023 sera surtout l’année-charnière pour le grand chantier que souhaite Grégory Doucet, celui qui justifiera qu’il se représente en 2026 aux municipales : rendre la ville de Lyon neutre en carbone d’ici à 2030. Pour le maire de Lyon, la principale réussite de son début de mandat est d’ailleurs « d’avoir eu la reconnaissance de la Commission européenne, qui nous a sélectionné parmi les 100 villes neutres en carbone pour 2030. Et pour avoir rencontré Frans Timmermans (le vice-président de la Commission en charge du pacte vert pour l’Europe, NDLR) et Ursula von der Leyen (la présidente de la Commission, NDLR), je sais que Lyon est identifiée en Europe comme l’une des villes les plus à suivre, parmi les villes les plus inspirantes potentiellement, les villes de référence en matière de transition écologique et solidaire. C’est à la fois un succès et bien évidemment un défi qui est posé. » Reste en effet à être à la hauteur des attentes.
L’objectif d’une neutralité carbone en 2030 serait déjà ambitieux s’il ne concernait que la municipalité lyonnaise, c’est-à-dire ses personnels et surtout l’ensemble des bâtiments municipaux, à commencer par les écoles… « Quand on fait l’état des lieux des établissements scolaires dans la ville, avec tout le retard accumulé de non-entretien, de rénovations énergétiques qui n’ont pas été accomplies, on sait qu’on ne pourra pas le faire tenir sur un seul mandat, même si c’est le principal budget du PPI (plan pluriannuel d’investissement, NDLR). Sur les 1,2 milliard d’euros d’investissements prévus, l’efficacité énergétique des bâtiments, c’est plus de 400 millions d’euros. »
L’opposition municipale n’a pas manqué de rappeler que, depuis son élection, la municipalité écologique n’était pas parvenue à concrétiser tous les investissements budgétés. Même si c’est un classique en début de mandat, et que le taux de réalisation progresse, comme l’a rappelé la même semaine Audrey Hénocque, première adjointe chargée des Finances, dans l’émission Les Coulisses du Grand Lyon, cela dit que l’objectif de neutralité carbone pour la municipalité en 2030 ne sera déjà pas simple à atteindre. Or, ainsi que le souligne le maire de Lyon lui-même, les émissions engendrées par les équipements municipaux et leur personnel ne représentent que 5% de l’ensemble des émissions du territoire. Et c’est bien à cette échelle que la Ville de Lyon s’est engagée à agir. Et ce n’est pas le bilan de la végétalisation menée depuis le début du mandat qui pourra faire la différence. Il fait certes la fierté de Grégory Doucet, qui relève que, durant « cette saison de plantation, on va regagner plus de 1,5 hectare de sols et d’espaces replantés. Historiquement, le bitume progressait chaque année avant notre arrivée ; depuis 2020, on a regagné du terrain. » Le maire n’en admet pas moins que « c’est peu, sur les 48 km² de la ville ».
« Si je me contentais de dire, comme le gouvernement, que notre objectif c’est la neutralité en 2050, qui se mettrait en mouvement ? ». 2023 doit donc être, dans l’esprit de Grégory Doucet, l’année de la mobilisation de l’ensemble du territoire, « les citoyens, les entreprises, les associations, tous les acteurs… » Une vraie gageure quand on voit le relativement faible taux de participation aux politiques de concertation mises en œuvre jusqu’ici par la municipalité écologique.
Cela implique de parvenir à convaincre bien au-delà de la base électorale des écologistes, ce qui explique sans doute la volonté nouvelle d’éviter les polémiques, et même de « dépolitiser » le discours d’un Grégory Doucet qui paraît réfléchir en « plan-projet », comme en ont l’habitude les organisations humanitaires : « Si l’on veut atteindre un objectif, la première chose à faire est de se le fixer. Et de définir les étapes nécessaires pour l’atteindre. La première étape, c’est ce qu’on est train de faire : définir la gouvernance pour préciser l’ensemble des étapes et des actions à réaliser. »
Devant le scepticisme des journalistes, le maire de Lyon assure que « tout un tas d’acteurs sont déjà embarqués, des entreprises, des universitaires, des gens très différents… Dans mes interactions avec les chefs et cheffes d’entreprise, je vois que beaucoup sont extrêmement impliqués. Ce n’est pas un hasard si l’on voit une Alexandra Mathiolon (directrice générale de Serfim, NDLR) qui pilote son entreprise vers le zéro carbone. Si les étudiants de l’EM Lyon refusent d’aller travailler dans certaines entreprises, c’est dire que les mentalités ont changé ! J’ai fait une école de commerce, ce n’était pas le cas à mon époque. On a un mouvement massif, qui ne se voit pas suffisamment, ne se compte pas assez. Les acteurs ne se voient pas assez comme une masse, un collectif. » Et d’ajouter : « Oui, c’est ambitieux, ça c’est sûr. Mais si je me contentais de dire, comme le gouvernement, que notre objectif c’est la neutralité en 2050, qui raisonnablement se mettrait en mouvement ? Si l’on veut engager un collectif, il faut qu’il y ait du mouvement. Il ne faut pas se contenter de fixer un cap, il faut qu’il y ait des étapes, des mesures, et qu’il y ait suffisamment de mouvement à mesurer. S’il ne se passe rien, on s’essouffle. »
Une gouvernance, des plans publics et privés, des avancées mesurables…
Le « plan Doucet » pour atteindre le zéro carbone en sept ans aura fort à faire pour convaincre en 2023. « L’éveil des consciences, même s’il est bien entamé, a besoin de se continuer », a-t-il reconnu, en apportant pour cette raison son soutien aux activistes écologistes qui ont récemment bloqué le périphérique lyonnais. « Les questions qui sont posées, je les trouve pertinentes, légitimes. Elles sont portées par des jeunes qui disent : c’est mon avenir qui est en jeu. C’est réjouissant de voir qu’il y a des jeunes qui s’engagent non seulement pour savoir quelle paire de chaussures ils vont s’acheter demain, mais pour l’avenir de l’humanité. » Si leurs actions « créent ici ou là un peu de gêne », c’est un faible prix à payer aux yeux du maire de Lyon, qui retient surtout que « ce ne sont que des actions non violentes » : « On a fait le même reproche à Rosa Parks quand elle a refusé de se lever dans son bus : quand même, est-ce la meilleure façon de lutter contre l’apartheid ? Bah oui, à un moment, quand vous n’êtes pas entendus… Ce que ces jeunes défendent, ce n’est rien d’autre que le droit à la vie, j’ai même envie de dire le “droit à la survie”. C’est un droit fondamental. » Il s’attend donc à de nouvelles actions, dont il soutient le principe : « Je suis sûr que certains vont nous trouver des choses incroyables dans les prochains mois. Je fais confiance à l’imagination des activistes. »
« Chaud-bouillant » pour accueillir une étape du Tour de France féminin
Le jeu des questions-réponses lui a permis d’annoncer qu’il était « chaud-bouillant » pour accueillir une étape du Tour de France féminin « dès que possible ». Il a aussi défendu le principe de son arrêté municipal d’août 2023 qui oblige les agents municipaux grévistes à se déclarer 48 heures à l’avance, afin de laisser à la Ville le temps d’organiser l’accueil des enfants dans les crèches et les cantines scolaires. Annulé par le tribunal administratif, l’arrêté devrait donc revenir sur la table prochainement, car, pour le maire, « défendre le service public, c’est faire en sorte qu’il fonctionne ».
Grégory Doucet a enfin répété que « l’extrême droite est une menace pour la sécurité » et réclamé une action plus ferme de Gérald Darmanin envers les groupuscules violents. Il en a profité pour dire qu’il attendait le ministre de l’Intérieur, avec qui les échanges ont animé le feuilleton médiatique local en 2022, et qu’il lui demandait de faire la transparence sur les effectifs de police à Lyon : « Il annonce les recrutements, pas les départs. Quand on compte, ce qui est important, c’est le solde. » Il est aussi revenu sur l’objectif « zéro enfant à la rue » qu’il s’est fixé, « parce que c’est insupportable », mais qu’il peine à atteindre. Sur ce terrain encore, 2023 sera l’année où la municipalité écologique devra convaincre de sa capacité à atteindre les objectifs ambitieux qu’elle se fixe.
Raphaël Ruffier-Fossoul
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