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Gilles Roman
Gilles Roman
Admin
Date d'inscription : 04/05/2015
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15062020
Grégory Doucet : «C’est le dernier mandat pour le climat»
C’est sur un banc, à l’ombre d’un platane, qu’il a choisi de rencontrer L’Arrière-Cour pour un échange de près de deux heures. Nous avons cherché à comprendre comment le candidat écologiste se projetait dans la fonction de maire de Lyon, qui lui semble promise depuis qu’il a réussi l’union avec les listes de la gauche unie menées par Sandrine Runel et celles de Lyon en commun de Nathalie Perrin-Gilbert. L’arrivée d’un écologiste à la tête de la troisième ville de France n’en constituerait pas moins un événement politique majeur, qui pourrait bien capter l’attention des médias nationaux dans les deux prochaines années. Un entretien doublement illustré par Guillaume Long.
L'Arrière-cour : un long entretien avec Grégory Doucet avant son élection à Lyon. Gregor10
L’Arrière-Cour : Notre dernière rencontre s’inscrivait dans le cadre d’un entretien collectif autour de la démarche initiée par Renaud Payre, sous le nom de « Madame Z », et destinée à créer les conditions d’une union des écologistes et de la gauche. Pourquoi cette union ne s’est-elle finalement réalisée qu’au deuxième tour ?
Grégory Doucet : « Madame Z » représentait une main tendue pour accueillir d’autres personnes dans la famille écolo. C’était sans doute trop tôt. Beaucoup de mouvements politiques accomplissent un pas vers l’écologie mais avec leur propre histoire, et pas tous à la même vitesse. J’ai alors réalisé qu’en face de moi se trouvaient des gens qui désiraient avant tout réunir la gauche. Ils l’ont fait, c’est très bien, mais ce n’est pas le logiciel politique qui correspond au 21e siècle. Je le leur ai dit à l’époque. Il fallait le tenter, parfois ça marche, parfois ça ne marche pas… mais il faut aussi savoir prendre les choses en main pour donner des directions de long terme.

« J’étais rarement dans un bureau, je parcourais presque quotidiennement les bidonvilles de Manille. »

Bruno Bernard, votre homologue pour la Métropole, dit souvent qu’«on ne naît pas écologiste, on le devient». Quel a été le déclic de votre engagement ? Vous avez commencé par une école de commerce : on imagine que cela ne vous conduisait pas particulièrement vers l’engagement politique écologiste…
Malgré quelques expériences dans l’entreprise marchande, j’ai surtout travaillé dans l’associatif. Savoir lire un compte d’exploitation ne sert pas uniquement en entreprise ! Je ne suis pas issu d’une famille politisée ou écologiste. Mon père travaillait dans l’industrie pétrochimique, ce qui a donné lieu à de nombreuses discussions (rires). Il a beaucoup cheminé depuis. Le déclic, ce furent mes lectures, mes découvertes. Mon fils a 13 ans : à son âge, j’avais justement passé un week-end paumé à la campagne, dans la nature, qui m’avait marqué, moi le petit banlieusard. La lecture de Gandhi a aussi compté. Mon premier boulot m’a amené à m’occuper des espaces verts des Ulis, en banlieue parisienne, et j’étais hyper-motivé pour le faire ! Puis j’ai créé une association au sein de mon école de commerce dans le but de sensibiliser à l’environnement. Réunir trois étudiants pour constituer le bureau a été difficile, car on ne parlait pas de réchauffement climatique ou d’extinction des espèces. J’ai hésité. Finalement, je me suis tourné vers le secteur social, puis l’humanitaire, assez naturellement. J’étais bénévole au Génépi, une association d’étudiants qui intervenait en milieu carcéral. J’en ai même été président, pendant mon service national.
Par la suite, j’ai travaillé avec un public en grande difficulté à l’ADIE, l’Association pour le droit à l’initiative économique. Même si j’y étais plus spécifiquement en charge des gens du voyage, j’ai côtoyé des publics très différents, dans les bidonvilles, ou des Africains primo-arrivants, des jeunes sortis du système scolaire. Cela aide à comprendre la société, la façon dont nos systèmes sont créateurs d’inégalités et de souffrances. Quand vous travaillez avec quelqu’un qui vend pour 300 francs de marchandises par jour sur un marché, vous comprenez beaucoup de choses. J’intervenais dans la création d’entreprises en accordant des prêts permettant d’acheter du matériel, d’avoir un fonds de roulement. Mais on en vient naturellement à les aider pour l’inscription des enfants à l’école, les problèmes de santé, etc. C’est pourquoi je dis que j’ai été travailleur social. J’ai un grand respect pour celles et ceux qui pratiquent ce métier. J’en ai rencontré d’extraordinaires… et c’est un métier très dur.
Et vous êtes passé à l’humanitaire…
Le microcrédit a vu le jour en Asie du Sud-Est, cela donne envie d’aller voir sur place comment ça se passe. Je suis parti aux Philippines avec Inter Aide, une ONG française qui menait des programmes de développement à long terme autour de la formation, de l’accompagnement à l’emploi, de l’intermédiation avec la Sécu philippine pour les plus pauvres qui n’y avaient pas accès, etc. J’étais rarement dans un bureau, je parcourais presque quotidiennement les bidonvilles de Manille. Une ville incroyable, avec d’un côté des gratte-ciels dans un quartier d’affaires et, à quelques centaines de mètres, des gens qui vivent sur des montagnes d’ordures infestées de mouches. Pendant la saison des pluies, il faut porter des bottes de 40 cm parce qu’on s’enfonce dans une boue en décomposition. Et les gens vivent là… Dans l’humanitaire, cela va assez vite, on remplace ceux qui partent et je me suis retrouvé parmi les trois dirigeants d’une équipe de 500 personnes. Ensuite, au Népal, j’ai pu constater l’importance des castes, qui entraînent une acceptation des inégalités, de la misère humaine, assez lourde. Dès 2007, je me suis engagé à Corbeil-Essonnes – mon point de chute en France – en me disant que la solidarité était certes importante, mais qu’il fallait aussi travailler sur les systèmes qui génèrent les inégalités. Et pour moi, les écologistes sont ceux qui déploient la vision la plus globale, la pensée politique la plus holistique sur le sujet.

« Lyon m’a plu parce que c’est une vraie ville à taille humaine. »

Vous êtes devenu Lyonnais un peu par hasard deux ans plus tard ?
J’avais déjà un enfant et l’envie d’atterrir dans une ville dotée d’une bonne qualité de vie, pas comme Paris ou Manille, où l’on se sent perdu. Lyon m’a plu parce que c’est une vraie ville à taille humaine, avec une offre culturelle importante et la possibilité d’en sortir pour respirer. Comme le vélo a toujours été mon véhicule professionnel – à Katmandou déjà ! – j’ai découvert qu’il y restait beaucoup à faire. À vélo, on constate vite les limites de l’urbanisme. En 10 ans, j’ai pu voir la ville évoluer même si cela reste très insuffisant pour le vélo. Nous allons changer cela. Je ne me suis pas engagé tout de suite en politique, néanmoins : j’étais responsable des opérations de Handicap International en Afrique de l’Ouest. Avec la crise au Mali en 2011-2012 et le virus Ebola en 2014, autant dire que je ne m’ennuyais pas au travail ! Et comme tout parent de jeunes enfants – j’en ai trois – j’étais aussi très pris par ma vie de famille.

« Comment compenser un manque d’expérience ? 

En s’entourant de gens qui en ont. »

Aujourd’hui favori pour le deuxième tour des municipales, vous pourriez devenir le plus jeune maire de Lyon depuis Michel Noir, qui avait 45 ans lors de son élection en 1989 mais avait déjà été adjoint à l’économie, député, ministre, etc. Vous n’avez jamais exercé un mandat d’élu. Votre manque d’expérience politique est-il une faiblesse ou une force ?
Vous connaissez les analyses SWOT ? En français, on recherche les «forces, faiblesses, opportunités et menaces». Ma situation comporte les deux dimensions, faiblesse et force, le tout étant de savoir gérer les faiblesses. C’est vrai, on pourrait dire que « Grégory Doucet n’a pas été élu, n’a pas été fonctionnaire, n’a pas travaillé à la mairie de Lyon ». Il n’empêche que je suis citoyen et que j’ai un regard sur les institutions. J’ai conservé, dans le premier temps de mon engagement, une distance vis-à-vis des partis, puis j’ai réalisé que c’était là que l’on pouvait agir. Alors, comment compenser un manque d’expérience ? En s’entourant de gens qui en ont. Je m’appuie sur des personnes comme Bruno Bernard, Béatrice Vessiller, Pascale Bonniel-Chalier, Émeline Baume, trois actrices essentielles dans la construction de notre campagne. On le compense aussi en se préparant : j’ai passé beaucoup de temps à penser la construction d’un exécutif, la façon dont on pourrait faire fonctionner les services municipaux. Certes, je n’ai jamais été maire d’une grande ville, mais il faut bien commencer un jour (rires). J’ai quand même une carrière de manager derrière moi, j’ai géré des budgets de dizaines de millions d’euros et des équipes de plus de 500 personnes. Le rôle de maire est différent, c’est évident, mais dans l’exercice du leadership, on retrouve des points communs. Et j’ai tiré des leçons de mon expérience. Je tiens à la délégation et au travail collectif. Pour moi, il importe de responsabiliser les gens, d’être très clair sur leur champ de responsabilités, et, en amont, de faire confiance au collectif. Je ne crois pas aux femmes ni aux hommes providentiels. Cette campagne, je ne la mène pas seul. C’est l’addition de toutes nos forces, de nos intelligences, de nos énergies qui fait qu’on en est là aujourd’hui. Je prends un soin particulier à ce que la bonne personne se trouve au bon endroit. Je ne souffre pas, avec mes colistiers, d’un passé chargé de « casseroles ». Je n’ai pas besoin de rendre des services. À mes yeux, « constituer une équipe » est la réponse à votre question : on compense un manque d’expérience en allant chercher les compétences ailleurs.

« Ouvrez les yeux, il y a déjà beaucoup de vélos dans la ville ! »

Si les maires demeurent assez populaires en France, c’est qu’ils sont aussi des élus « à portée d’engueulade » pour le citoyen. Ils personnalisent la municipalité. Et nombre d’entre eux finissent par céder à la tentation de décider seul…
Est-ce que j’en ai conscience ? Bien sûr.
Et pensez-vous vous en prémunir ? Ou vous dites-vous qu’il faudra quoi qu’il en soit « incarner la fonction » ?
Une partie peut être assumée, une autre peut être transformée. Je ne crois pas au Grand Soir, c’est pourquoi je suis un tenant de la transition écologique. On n’avancera pas par petits pas – il y a urgence ! – mais on ne changera pas tout du jour au lendemain. Quand j’entends dire qu’il ne faudrait pas « mettre des vélos partout », j’ai envie de répondre : « Ouvrez les yeux, il y a déjà beaucoup de vélos dans la ville ! » (Rires.) Dans l’exercice du pouvoir, un certain nombre d’éléments peuvent être modifiés. La démocratie locale à Lyon accuse un retard considérable, nous sommes très loin d’utiliser tous les outils formidables qui ont fait leurs preuves ailleurs. Prenez le principe d’un budget participatif. On dit aux gens : « Vous avez la possibilité d’investir de l’argent public dans un projet, à condition que vous le construisiez ensemble et que vous soyez impliqués dans la mise en œuvre. » C’est un mécanisme génial, en particulier dans les quartiers où les gens se sentent un peu sous-citoyens, « aidés »… La solidarité, c’est essentiel, mais il ne faut jamais que cela tombe dans la condescendance et la commisération. Il est important de donner aux gens les moyens de leur dignité. Le budget participatif constitue un moyen formidable pour cela. On dit aux gens : « On va vous aider à construire votre ville dans votre quotidien. »

« Face à un problème, je ne suis pas du genre à donner tout de suit une réponse, mais à réfléchir à la méthode qui nous apportera la solution. »

En termes de démocratie participative, quantité d’expériences ont fait long feu parce qu’au final, peu de gens s’y sont investis dans le temps, et l’on y a retrouvé des acteurs associatifs ou déjà investis par ailleurs. Beaucoup se sentent exclus de ce type de débat.
Ce n’est pas simple, il faudra aller chercher les gens. Cela exige une vraie volonté politique. On ne peut se contenter d’un simple affichage. Voici une autre leçon que j’ai tirée de ma pratique de manager : l’importance de rendre compte, de fixer des indicateurs, non sur des niveaux d’activité mais sur des objectifs réels. L’important n’est pas de savoir combien de projets ont pu voir le jour. Il faut des mesures plus qualitatives. C’est pourquoi nous souhaitons construire avec des citoyens – peut-être via un tirage au sort – des indicateurs du bien-être. Qu’ils nous disent : « La qualité de vie à Lyon, c’est cela. » Nous concevrons ainsi une boussole hyper-puissante pour nous dire où il faut aller. Je suis quelqu’un de méthodique : face à un problème, je ne suis pas du genre à donner tout de suite une réponse, mais à réfléchir à la méthode qui nous apportera la solution.
Un exemple ? Nos têtes de liste dans les arrondissements ont été choisies par le biais de la sociocratie. Résultat : je dispose d’une équipe incroyable ! Il s’agit d’un système d’élection sans candidat. Cela marche dans un petit groupe. Le principe est de définir collectivement les qualités et compétences requises pour une fonction. Une fois qu’on s’est mis d’accord, on regarde parmi les présents qui possède ces aptitudes. Tout le monde doit s’exprimer, c’est absolument crucial. Aucune « grande gueule » ne monopolise la parole. Et l’on discute jusqu’à obtenir un consensus sur la personne choisie. L’intérêt, c’est qu’elle est sélectionnée avec l’adhésion et la force du groupe tout entier. Pour débuter une campagne électorale, cela change tout ! Regardez comment certains leaders locaux sont choisis dans d’autres partis : c’est le grand chef qui place untel ou unetelle… et les autres ne s’y retrouvent pas toujours. Je ne vais pas appliquer la sociocratie partout ; cela convient à certaines décisions. Mais cet exemple montre que les méthodes qui consistent à faire confiance au collectif, à promouvoir la transparence, et où la redevabilité est claire, peuvent donner de très bons résultats.

« Ma vie s’est nourrie du contact avec la réalité, (...) d’être dans le « faire ». »

Vous fixez-vous une limite dans le nombre de mandats que vous exercerez ? 
Je n’en suis pas du tout là dans mes réflexions. Je n’ai pas la prétention d’être un « penseur de l’écologie », à l’instar d’un Bruno Latour, d’un Michel Lussault, d’un David Cormand ou d’une Delphine Batho. Je ne cherche pas à être une voix de plus de l’écologie pour construire une carrière politique. La mission que je me suis donnée, c’est de mener à Lyon la transition écologique. On n’a plus le temps d’attendre. Ma vie s’est nourrie du contact avec la réalité, d’avoir cherché à ne pas simplement manipuler « hors sol » les concepts d’inégalités ou de souffrances sociales, d’être dans le « faire ».
Donc, vous n’instaurez pas de garde-fou en annonçant par exemple que vous ne ferez qu’un ou deux mandats ?
Je suis totalement en phase avec les positions des écologistes. Le cumul des fonctions, le cumul dans le temps, ce n’est pas pour moi. Je ne me suis pas engagé avec l’idée de connaître une longue carrière politique. Après, je n’en sais rien, on verra… Pour l’instant, ce qui m’importe, c’est d’agir pour Lyon. Et cela nécessite déjà une série de coups de billard à trois bandes ! Dans ce cadre, penser à ma carrière dans six ans ne serait pas raisonnable. Toutefois, j’ai bien conscience de la question de la personnalisation. Je me suis doté d’un certain nombre de garde-fou : même si le maire incarne sa fonction – et je ne veux pas rejeter ce point – je suis quelqu’un qui délègue. Je veux des adjoints en première ligne et qui bossent. Je refuse qu’ils aient à compter en permanence sur le maire. Tous les adjoints auront une feuille de route, très précise et définie collectivement. À ceux que j’ai déjà identifiés, j’ai demandé de commencer à travailler dessus. Je ne vais pas vous faire un cours sur le management horizontal, mais la logique des petits chefs n’est pas celle qui donne de bons résultats. Lorsqu’on responsabilise les gens, ça marche. C’est un sujet sur lequel j’ai beaucoup échangé avec Éric Piolle, le maire de Grenoble. À l’entendre raconter la façon dont il a construit ses équipes, je souriais parce que cela me parlait. Ce n’est pas très étonnant, d’ailleurs : il a lui aussi été manager dans une grosse organisation. Il y a appris certaines méthodes que je pratique moi aussi.

« Lyon jouit d’une position extraordinairement favorable pour réussir une transition exemplaire. »



Les maires se réfèrent souvent à leurs prédécesseurs. Pour justifier son alliance à droite, Gérard Collomb a surjoué cette continuité de Michel Noir jusqu’à lui, en passant par Raymond Barre. Incarnerez-vous une certaine rupture ou vous placez-vous également dans la continuité du « modèle lyonnais » ?
C’est de la rhétorique vide de sens. Vous avez entendu le billet de Daniel Morin, où il raillait Gérard Collomb en lui disant qu’il n’y a pas des hordes de hippies ni d’armées de végans prêtes à tout casser à Lyon ? (Rires.) Voir la vidéo
J’habite Lyon depuis plus de 10 ans, mes enfants y sont scolarisés, j’ai choisi cette ville pour sa qualité de vie. Les Verts au pouvoir, ce n’est pas Phnom Penh en 1979, il faut arrêter avec ça ! La réalité, c’est une transition qui s’impose à nous. Lyon jouit d’une position extraordinairement favorable pour réussir une transition exemplaire, de par sa position géographique, son histoire. L’humanisme lyonnais, pour le coup, c’est une force considérable pour embarquer tout le monde. Parce qu’il n’y a pas de transition sans volonté de faire pour les gens, d’être équitable. Demain, la ville de Lyon peut être une lumière sur la voie de la transition, montrer dans quelle direction on peut aller. Oui, cela voudra dire qu’il y aura davantage de vélos dans la ville (rires), c’est certain. Je ne vais pas m’en excuser. Il y en aura même beaucoup. Cela signifiera une meilleure qualité de vie. On se sentira bien dans cette ville. C’est ce que je veux. Mais cela s’accomplira dans une certaine forme de continuité. Gérard Collomb n’était pas un ennemi de Lyon. Il a cherché lui aussi à l’améliorer, avec son propre logiciel, son propre idéal, ses propres références. Il a accompli des choses intéressantes dans cette ville, il a su capter les bonnes idées qui venaient d’autres personnes : les Vélo’v, les berges, c’est très bien. En revanche, il n’a pas su se mettre à l’écoute du monde, dans sa globalité et ses dangers. Il n’en reste pas moins une part d’héritage à assumer, parce qu’il y a des forces dans cette ville qu’il faudra savoir mobiliser.

« Arrêtons d’être en compétition avec le territoire voisin.  Une politique d’encouragement pour aller habiter à Saint-Étienne peut avoir du sens »



La relance passera-t-elle par des actions sur le logement ? C’est un point de friction entre la gauche, qui souhaite la construction de davantage de logements écologiques, et Bruno Bernard, qui avait insisté auprès de L’Arrière-Cour sur la nécessité de remettre en cause la politique de densification urbaine, sachant qu’il y a des logements vides à Saint-Étienne…
Un sujet comme celui-ci met en évidence l’importance de prendre de la hauteur. Lorsque Bruno Bernard affirme qu’il faut penser la coopération entre les territoires plutôt que de les mettre en compétition, il fait preuve d’un vrai sens de l’intérêt général. Oui, il faut du logement social, je ne vais pas tout arrêter demain. Néanmoins, nous devons faire « atterrir » cette idée de coopération territoriale. À Saint-Étienne, les logements vacants sont légion et beaucoup de gens font des allers et retours quotidiens. Et nous devrions agir au détriment des Stéphanois ? Nous ne sommes pas dans un derby de football. Lorsqu’il est question du bonheur et de la vie des gens, les enjeux sont tout autres. Arrêtons d’être en compétition avec le territoire voisin. Une politique d’encouragement pour aller habiter à Saint-Étienne peut avoir du sens. Mais il faut aussi du logement social à Lyon. Or, dans le centre-ville, bon nombre d’immeubles ont vu leurs logements transformés en bureaux. On a laissé faire. Il faut une politique de logement globale et équilibrée.

« Lorsque je discute avec la CGPME, on se comprend. »



Le monde économique a fait circuler une pétition s’inquiétant de l’arrivée des écologistes au pouvoir…
La peur en politique, c’est ce qui reste à ceux qui n’ont pas de projet. Entretenir la peur autour de l’arrivée des verts est le signe d’une très grande vacuité. Quel projet politique se cache derrière l’alliance Collomb-LR ? « Être contre », ce n’est pas un projet. J’y vois au passage une belle illustration de l’essence même de LREM, une formation qui n’a toujours pas dit dans quelle direction elle se dirigeait. Voici un groupe de gens de divers horizons, qui ont en commun la notion de « progrès » mais qui ne sont pas sûrs d’en avoir la même définition. Ils ont été fédérés autour de notre président, jeune, plutôt séduisant et bon orateur. Cela ne fait pas une politique ! J’ai discuté avec des entrepreneurs et des patrons de PME durant le confinement. Beaucoup ont envie de s’engager dans la transition écologique. Nos adversaires manifestent une certaine vision de l’économie, un certain immobilisme économique. Or, la qualité d’un entrepreneur vient de sa capacité à construire son projet en étant stratège. Entreprendre, c’est anticiper. Ceux qui pensent que notre ancienne façon de fonctionner est toujours d’actualité, se trompent. Celles et ceux qui désirent entreprendre différemment, en prenant en compte les enjeux sociaux et environnementaux, en enracinant leur entreprise dans le territoire, ont tout compris. Et c’est avec eux qu’il faut travailler. Lorsque je discute avec la CGPME, on se comprend.
On en déduit que vos relations sont plus compliquées avec le Medef… La pétrochimie et l’industrie automobile sont des secteurs qui font vivre la ville. Doivent-ils fermer leurs portes, selon vous ? 
Ces secteurs doivent entrer en transition et nous pouvons les accompagner. On ne va pas les supprimer d’un trait de crayon. Mais ce n’est pas moi qui défends la voiture à hydrogène pour justifier l’Anneau des sciences, comme l’ont fait Collomb et Cucherat. Voici une dizaine d’années, on nous prédisait que la réponse viendrait des voitures électriques. On n’en voit guère sur nos routes… La croyance en une puissance absolue de la technologie et de l’esprit humain, qui trouvera à chaque crise la solution technique, relève du dogme. Cela ne signifie pas qu’il ne faut pas investir dans la recherche. Mais elle ne peut être l’alpha et l’oméga de notre politique. On nous a habitués à l’énergie et à la consommation sans limites ; or, les limites existent et on doit en tenir compte. Construisons des systèmes qui respectent ces limites ! Développons les transports en commun, la marche à pied et le cyclisme ; repensons notre façon de nous chauffer et investissons dans la rénovation thermique. Voilà des secteurs d’activité économique au potentiel considérable. Je veux des pistes cyclables partout dans la ville. Cela nécessitera des travaux publics, donc créera de l’activité. J’ai assisté aux vœux des professionnels du BTP : leur président affirmait que l’écologie était un élément fondamental pour organiser leurs pratiques professionnelles. Ils cherchaient des solutions techniques pour concevoir des enrobés à moindre température, pour consommer moins d’énergie. Ils ont conscience que leur profession doit absolument évoluer. Un entrepreneur m’a confié qu’il réalisait pleinement l’ampleur de ces enjeux parce que son fils le tanne tous les soirs à la maison, tout en soulignant : « Je ne peux bouger seul, il faut que les pouvoirs publics m’accompagnent et que la direction soit donnée. » C’est ce que je ferai. J’ai rencontré aussi les professionnels du tourisme…

« Je veux que l'on travaille avec la SNCF  afin de remettre en place des trains de nuit. »



Vous estimez qu’il y a trop de monde à Saint-Jean. Souhaitez-vous réduire le tourisme ?
Je souhaite la diminution d’un certain tourisme au profit d’un tourisme responsable. Aujourd’hui, 15% des touristes qui viennent à Lyon voyagent en avion. Nous n’arrivons pas à développer un tourisme à vélo par manque d’équipements et de sécurisation. À Amsterdam, les gens ne se posent pas la question : ils se déplacent à vélo. Je profite de cet entretien pour dire que je veux que l’on travaille avec la SNCF afin de remettre en place des trains de nuit. L’objectif est que les Européens puissent venir à Lyon avec leurs vélos, dans une ville réaménagée pour les accueillir. Quel bonheur de se déplacer dans une ville piétonnisée, plus silencieuse… De s’asseoir sur des bancs à l’ombre, près d’une fontaine, tout en découvrant le patrimoine et la culture de la ville. Moi, cela me donne envie (rires).
Le secteur a été durement frappé par la crise sanitaire. Est-il raisonnable de vouloir dès cette année interdire les terrasses chauffées et lutter contre Airbnb, par exemple ?
Les terrasses chauffées représentent une absurdité environnementale. On peut trouver d’autres solutions. Il existe des moyens de soutenir les hôtels et les restaurants sans cristalliser le débat autour de cette question. Quant à Airbnb, ce dossier demande un certain contrôle pour que les effets induits du système ne se situent pas à l’opposé des politiques de long terme que nous souhaitons mener. Le moment est venu de faire évoluer les pratiques. Si nous ne consentons pas aujourd’hui des efforts drastiques mais dans la douceur, dans l’accompagnement, et que dans 20 ans, Lyon présente le climat actuel d’Alger… les hôteliers et restaurateurs pleureront, et pour longtemps. Un tourisme responsable est un tourisme plus durable. Mon but n’est pas d’empêcher les personnes de venir découvrir cette belle ville qu’est Lyon, bien au contraire. Lorsque nos actions porteront leurs fruits, que Fourvière aura été végétalisée par exemple, et que nous aurons créé un grand parc sur les pentes, les touristes seront heureux de poser leurs valises dans une ville qui offre une telle qualité de vie. Et nous serons encore plus fiers d’y habiter.
Des pistes cyclables, des espaces piétons… vous promettez l’enfer sur terre pour les voitures ? 
(Rires.) Non. En même temps que l’on réduira l’espace de la voiture, nous proposerons des alternatives. Notamment en développant l’offre de bus. Parce que nous pourrons le faire tout de suite. Nous relancerons aussi un vaste plan métro, mais nous n’attendrons pas qu’il soit construit pour agir.

« Il faut agir rapidement, c'est le dernier mandat pour le climat. 





L'Arrière-cour : un long entretien avec Grégory Doucet avant son élection à Lyon. Grzogo11
À quoi seront consacrés les 100 premiers jours de votre mandat, si vous êtes élu ? 
Nous aurons deux urgences à gérer de front. Primo, l’urgence économique et sociale liée au Covid-19. Il nous faudra amortir les effets de la crise. Assurer une rentrée scolaire sereine, qui redonne aux enfants le goût d’être ensemble, qui pallie autant que possible l’accroissement des inégalités liée à la fermeture des écoles. Soutenir le milieu culturel en débloquant un fonds de 4 millions d’euros pour relancer les structures en danger. Soutenir nos commerçants, les cafés, les restaurants en développant les terrasses prises sur les places réservées aux voitures, comme à Paris. La seconde urgence est celle du dérèglement climatique. Les épisodes de canicule sont de plus en plus réguliers, nous font perdre en qualité de vie, mettent en danger la santé des plus fragiles. Les pics de pollution ont repris leur cours, même s’ils sont présentés comme « normaux », tristement. Il faut agir rapidement, c’est le dernier mandat pour le climat. Nous devons végétaliser massivement, débitumer les cours d’école, transformer nos mobilités, renforcer notre autonomie alimentaire… Nous devons engager dès le début du mandat ces chantiers qui s’anticipent et prennent du temps.
À quel point la ville peut-elle être transformée en six ans ?
En 2026, Lyon sera nettement moins polluée, plus agréable à vivre pour tout le monde. Plus sobre énergétiquement, mieux « circulable », avec des itinéraires sécurisés pour les vélos. Avec considérablement plus de végétalisation, d’ombre, d’îlots de fraîcheur. Un cadre mieux pensé pour les enfants et toutes les générations. Je crois que Lyon est prête à prendre à bras-le-corps la question du changement climatique. Et ce, dans la justice sociale et avec des réseaux de solidarité renforcés.

« La vidéoverbalisation permet de répondre à la problématique des rodéos urbains qui pourrissent la vie d'habitants de certains quartiers. »



Les élus écologistes se sont toujours opposés à la vidéosurveillance, perçue comme inefficace et attentatoire à la vie privée. Votre programme prévoit en revanche le déploiement de la vidéoverbalisation. Vous êtes donc favorable aux caméras contre les automobilistes mais pas contre la petite délinquance ?
Je n’ai pas de religion sur la vidéosurveillance. Je commanderai un audit pour vérifier, avec des données fiables, si les caméras sont utiles ou non. Et en fonction, je prendrai ma décision. Concernant la vidéoverbalisation, oui, je plaide en faveur de sa mise en place pour les infractions au code de la route. Elle permet de répondre à la problématique des rodéos urbains qui pourrissent la vie d’habitants de certains quartiers, et aux cyclistes de se déplacer dans des conditions de sécurité largement améliorées.

« Je ne suis pas anti-élites : je souhaite que tous les enfants de la Duchère puissent devenir demain des virtuoses du violon. »



Vous souhaitez promouvoir une culture émancipatrice, destinée à « faire société », construite avec les habitants lors de grands états généraux des droits culturels. Nulle part, en revanche, vous ne parlez d’excellence culturelle, de rayonnement par la culture. Est-ce à dire qu’il faut s’attendre à la réduction des budgets des institutions les plus élitistes, par exemple la fusion des deux orchestres réclamée de longue date par Étienne Tête, au profit d’investissements accrus dans l’éducation artistique et culturelle, ou les MJC ?
Le projet culturel lyonnais se fera en coopération avec l’ensemble des acteurs culturels. Je crois au travail collectif et je souhaite que l’on prenne le temps, durant ce mandat, de définir ensemble les axes prioritaires pour la culture à Lyon. J’ai déjà promis de sanctuariser le budget culturel, c’est un premier point. Je ne suis pas anti-élites : je souhaite que tous les enfants de la Duchère puissent devenir demain des virtuoses du violon. Nos institutions doivent pouvoir bénéficier à tous et à toutes, ouvrir leurs portes en grand pour que la qualité des prestations qu’elles offrent bénéficient au plus grand nombre. La crise du Covid-19 a montré à quel point la culture était importante pour notre émancipation. Nous y porterons une attention toute particulière.
On évoque, en cas d’une double victoire des écologistes, Nathalie Perrin-Gilbert pour le poste d’adjointe à la culture à la Ville de Lyon, et le Villeurbannais Cédric Van Styvandael en tant que vice-président à la culture à la Métropole. Ce duo pourrait-il correspondre à votre désir d’aller chercher des gens d’expérience pour les sujets où cela vous serait utile ? 
Je laisserai Bruno Bernard se prononcer pour la Métropole. Quant à Lyon, j’ai proposé à Nathalie Perrin-Gilbert qu’elle soit mon adjointe à la culture, ce qu’elle a immédiatement accepté. Je lui fais toute confiance, elle connaît les milieux culturels, elle a une réelle appétence sur ces sujets. Que demander de plus ? Nous avons la même ligne politique, elle fera une adjointe de grande qualité, j’en suis certain. L’interview qu’elle a donnée au Petit Bulletin a reçu un excellent accueil du milieu, c’est bon signe.

« La politique sportive que je porterai  mettra l'accent sur l'égalité femmes-hommes. »



On vous sait cycliste. Quel est votre rapport avec les autres sports ? Vous verra-t-on dans les stades de l’OL ou du Lou avec l’écharpe du club autour du cou ? Ou préférez-vous éviter de croiser Jean-Michel Aulas ou Olivier Ginon, qui craignent une remise en cause des aides qu’ils perçoivent ?
Je suis tout à fait disposé à les rencontrer pour écouter leurs craintes, s’ils en ont. La porte de mon bureau est ouverte. Et pour répondre à votre première question, je suis allé plusieurs fois soutenir l’OL avec mes enfants, l’OL féminin. La politique sportive que je porterai mettra l’accent sur l’égalité femmes-hommes dans le sport : foot, rugby, hand, et même gymnastique !
Propos recueillis par Raphaël Ruffier-Fossoul, avec Maxime Pernet

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