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Gilles Roman
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Date d'inscription : 04/05/2015
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Protection des sources des journalistes : le Conseil constitutionnel met une limite aux moyens d’en assurer la garantie Empty Protection des sources des journalistes : le Conseil constitutionnel met une limite aux moyens d’en assurer la garantie

Mar 8 Nov - 17:13
Via Le club des juristes -  Emmanuel Derieux – Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris 2). La décision n° 2022-1021 QPC du Conseil constitutionnel du 28 octobre 2022, illustre les limites de la réalité du droit à la protection des sources d’information des journalistes. Les règles relatives aux demandes d’annulation d’un acte ou d’une pièce de procédure suspectés d’illégalité limitent leur possibilité de contester les atteintes qui leur paraissent y avoir été portées.
Quels sont les faits qui ont donné lieu à la saisine, par une journaliste, du Conseil constitutionnel, par la voie d’une QPC ?
Dans la présente affaire, une journaliste, avertie de ce que, à l’occasion d’une instruction concernant un tiers, elle aurait été l’objet de mesures de surveillance, considérait qu’il avait ainsi été porté atteinte à la protection de ses sources. À la suite de l’évasion de Rédoine Faïd, en juillet 2018, par exfiltration en hélicoptère, cette journaliste, travaillant pour BFM-TV à l’époque des faits, décidait de réaliser un documentaire sur M. Faïd. Dans ce cadre, elle contactait et rencontrait plusieurs personnes (policiers, avocats) et amis ayant été en contact avec M. Faïd. Ce dernier était finalement arrêté. La journaliste découvrait, à cette occasion, qu’elle avait fait l’objet d’une mesure de surveillance de la part de la police. Elle fit alors valoir, devant les juges, l’irrégularité de ces actes d’investigation comme accomplis en violation du secret des sources. Mais ses demandes de nullité furent jugées irrecevables parce que venant d’un tiers à la procédure.
La journaliste contestait alors le fait que l’article 170 du Code de procédure pénale réserve au « juge d’instruction », au « procureur de la République », aux « parties » ou à un « témoin assisté », la possibilité de saisir la chambre de l’instruction « aux fins d’annulation d’un acte ou d’une pièce de la procédure », et, l’en excluant, de la priver des garanties de la protection de son droit au respect du secret des sources notamment.
Ladite journaliste a alors soulevé la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) de la conformité de la combinaison des dispositions des articles 60-1, al. 3, 100-5, al. 4, 170, 171 et 173 CPP qui lui paraissait porter atteinte au droit au secret des sources d’information des journalistes, considéré comme constituant une condition et garantie de la liberté de communication.
A l’appui de sa demande, la journaliste  faisait valoir que ces dispositions, qui excluent  la possibilité pour un journaliste, comme pour toute autre personne qui n’est ni partie à la procédure ni témoin assisté, de saisir la chambre de l’instruction d’une requête en nullité d’actes de l’instruction portant atteinte à ses droits, seraient contraires au droit d’accès au juge, au droit à la liberté d’expression, au droit à la vie privée et au principe d’égalité consacrés par les articles 1, 2, 6, 11 et 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Par la présente décision, le Conseil constitutionnel répond par la négative et rejette la QPC.

Quelles dispositions et décisions consacrent le droit à la protection des sources des journalistes et comment la décision QPC du 28 octobre 2022 s’inscrit-elle dans ce contexte ?
Depuis la loi du 4 janvier 1993, l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse pose que « le secret des sources des journalistes est protégé ». Cette loi pénale et de procédure pénale ne comporte cependant aucune disposition de cette nature applicable en cas de violation alléguée de ce droit. Diverses dispositions concrétisent ce droit à la protection des sources d’information des journalistes à l’égard des actions de la police et de la justice. Il en est ainsi : en matière de réquisitions adressées à des journalistes, des articles 60-1, 77-1-1 et 99-3 du Code de procédure pénale ; en [url=https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000021662497/#:~:text=Le magistrat et la personne,pr%C3%A9alablement %C3%A0 leur %C3%A9ventuelle saisie.]matière de perquisitions[/url] de locaux d’une entreprise de presse de l’article 56-2 du Code de procédure pénale, de l’article 212-11 du Code de justice militaire, de l’article 11 de la loi n° 55-385, du 3 avril 1955, relative à l’état d’urgence, et de l’article L. 229-1 du Code de la sécurité intérieure ; en matière d’audition d’un journaliste en qualité de témoin, des articles 109, 326 et 437 du Code de procédure pénale ; et, en matière d’interception, d’enregistrement et de transcription de correspondances par voie de télécommunications, des articles 100 et 100-5 du Code de procédure pénale.
A défaut d’autre forme de sanction, seules certaines de ces dispositions prévoient la nullité des actes de procédure effectués en violation de ce droit à la protection des sources. Tout dépend : de la nature de cette nullité ; de l’identité de ceux qui peuvent la soulever ; et de l’application qui est faite de l’ensemble de ces dispositions !
La protection des sources des journalistes a donné lieu à des applications  diverses par les juridictions françaises :  en matière de réquisitions, par le juge d’instruction, de relevés d’opérations téléphoniques de journalistes ; en matière de perquisitions au domicile d’un journaliste et en matière d’audition de journalistes en qualité de témoin.
Depuis l’arrêt du 27 mars 1996, }]Goodwin c. Royaume-Uni, n° 17488/90, dans lequel la CEDH a posé que « la protection des sources journalistiques est l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse », ladite Cour a maintes fois statué et déjà condamné la France, comme notamment la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas.
Aux termes de la décision du Conseil constitutionnel, du 28 octobre 2022, il ressort que, étrangers à une action pénale, les journalistes se trouvent, en application de règles de procédure communes auxquelles -intentionnellement ou par inadvertance ?- il n’a pas été dérogé, privés de certaines possibilités de contestation de pratiques d’enquête ou d’instruction qu’ils considèrent comme contraires à la protection de leurs sources. Selon ce que mentionne le Conseil constitutionnel -sans davantage de précisions !-, ils disposent d’autres voies de droit qui leur permettent d’en obtenir le respect, dans des conditions susceptibles d’assurer une juste conciliation avec des droits concurrents . Le droit français est-il ainsi conforme aux exigences de la CEDH ? Tout en faisant de la protection des sources « l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse », celle-ci admet cependant que des restrictions puissent y être apportées si elles se justifient « par un impératif prépondérant d’intérêt public ».
Tant en droit français qu’en droit européen, une délicate conciliation doit, au cas par cas, être assurée entre la liberté d’expression, à laquelle la protection des sources des journalistes est supposée contribuer, et d’autres droits et intérêts, incluant l’action de la police et de la justice, considérés comme essentiels.

Dans quelle mesure la présente décision pose une limite aux garanties de protection des sources des journalistes ?
Aux termes de sa décision du 28 octobre 2022, le Conseil constitutionnel pose « qu’un tiers à la procédure, y compris un journaliste, ne peut pas demander l’annulation d’un acte qui aurait été accompli en violation du secret des sources ».
Il ajoute que le législateur a ainsi « entendu préserver le secret de l’enquête et de l’instruction et protéger les intérêts des personnes concernées », et qu’il a « poursuivi les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions et entendu garantir le droit au respect de la vie privée et de la présomption d’innocence ».
Ledit Conseil considère encore que, « lorsqu’un acte d’investigation accompli en violation du secret des sources est constitutif d’une infraction » -dont il ne précise cependant pas la qualification !-, le journaliste « peut mettre en mouvement l’action publique devant les juridictions pénales en se constituant partie civile », et que, si ladite action « ne peut être exercée dans le cas où l’illégalité de l’acte ne serait pas soulevée » par les personnes habilitées, « le journaliste conserve la possibilité d’invoquer l’irrégularité de cet acte à l’appui d’une demande tendant à engager la responsabilité de l’Etat ».
La décision conclut que, « en ne permettant pas à un journaliste, comme à tout autre tiers à la procédure, d’obtenir l’annulation d’un acte d’investigation accompli en violation du secret des sources, le législateur n’a pas, compte tenu de l’ensemble des voies de droit qui sont ouvertes, méconnu le droit à un recours juridictionnel effectif », et que le grief formulé « doit donc être écarté ».
Tirant les leçons de la présente situation, il ne serait pas interdit au législateur, soucieux d’une pleine et réelle protection des sources d’information des journalistes, d’accorder à ceux-ci, même étrangers à l’action, la possibilité de se prévaloir de la nullité d’actes de procédure et de chercher à empêcher le versement des pièces ainsi obtenues ou d’en demander le retrait, laissant à la juridiction ainsi saisie la responsabilité de trancher entre les intérêts en présence.


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