Rodéos urbains à Lyon : des résultats encore timides de A Vaulx cross
Dim 20 Mar - 23:13
Au lendemain des mesures annoncées en juin dernier par Gérald Darmanin pour sanctionner les rodéos urbains, la préfecture du Rhône et la mairie de Vaulx-en-Velin présentaient leur dispositif « A Vaulx Cross », centré sur des formations encadrées et gratuites de motocross à destination des jeunes Vaudais.
Critiqué à sa sortie, le dispositif s’illustre sept mois plus tard dans un documentaire présentant ses objectifs ambitieux et les résultats encore timides de ces 90 sessions de formation. « A Vaulx Cross » serait-il une solution durable pour endiguer le problème des rodéos urbains ?
Entre avis d’habitants, d’élus, de sociologue voire de Dalton, il questionne.
Une enquête de l'Arrière cour, par Anaëlle Hédouin, illustrée par Jibé.
« C’est parfois des crises que naissent les initiatives les plus innovantes, et je pense que ce projet en fait partie », a souligné Cécile Dindar, secrétaire générale de la préfecture du Rhône et déléguée pour l’égalité des chances, devant une salle quasiment pleine du cinéma Carré Pathé de Soie. Ce 22 février était projeté à Vaulx-en-Velin le documentaire A Vaulx Cross d’Arnaud-Emmanuel Veron et Wahid Chaïb. Un « diagnostic territorial », selon les mots des réalisateurs, qui présentait le dispositif préventif contre les rodéos urbains mis en place l’été dernier à Vaulx-en-Velin et porté par la préfecture et la mairie.
Du 17 juillet au 29 août 2021, l’association Synergie Family a ainsi organisé durant les week-ends des séances gratuites de motocross encadrées par des animateurs sportifs de la Fédération française de motocyclisme. En seulement un mois et demi, « A Vaulx Cross » a offert 90 sessions de formation à 70 jeunes, pour un total de 208 demandes. Les ambitions de l’association étaient grandes : « Faire que des jeunes passionnés hors cadre entrent dans le cadre », mais aussi « révéler les talents ».
Sept mois plus tard, habitants et élus applaudissent chaleureusement. Pourtant, en prenant le contrepied des politiques punitives habituelles, ce dispositif s’est d’abord attiré de nombreuses critiques. Certains craignaient en effet une forme d’encouragement du phénomène de rodéo urbain qui « empoisonne la vie des habitants », selon les mots d’Hélène Geoffroy, maire de Vaulx-en-Velin.
« On prend enfin en considération la question du pourquoi ! »
Pour Mahfoud Bidaoui, président de Centre Vie, l’association des commerçants de Vaulx-en-Velin, ce documentaire est un « cri du cœur » : « On prend enfin en considération la question du pourquoi ! », s’exclame-t-il après la projection du film. Partis du constat de la recrudescence des rodéos urbains à l’été 2020, de jeunes Vaudais avaient soufflé eux-mêmes l’idée des cours de cross à la maire de Vaulx-en-Velin. « Les gens ordinaires ont une expertise et la solution vient bien souvent de ce milieu-là », avance Arnaud-Emmanuel Veron.
Mehdi Bensafi, directeur de Synergie Family, propose, en encadrant ces formations, de renverser le paradigme : « Notre vision est de révéler les talents et il suffit parfois d’une expérience. On ne stigmatise pas les jeunes en leur disant que ce qu’ils font est mal : on modifie le point de vue. Et cela change toute la dynamique. » Pour Hélène Geoffroy, cette solution est un « vrai pari » : « Cela prouve qu’un sujet de tranquillité publique peut entraîner deux types d’action, l’une de sanction et l’autre de prévention. De sanction parce qu’à Vaulx-en-Velin, on a renforcé les brigades de police à moto et multiplié les caméras dans la ville. Et de prévention, avec un dispositif visant à ce que les jeunes ne basculent pas dans la délinquance et ne provoquent pas d’accidents. »
Une fois posé le constat des effets limités de la répression policière dans la résolution de ce problème, il fallait sortir des sanctions classiques. Mohammed-Ali Hannachi, coordinateur d’« A Vaulx Cross », l’affirme : « Le jeu du chat et de la souris avec la police ne sert à rien. Ce n’est pas en faisant peur qu’on réduira ce phénomène. Il faut écouter et apprendre plutôt que taper. » L’expérimentation plutôt que la sanction.
Au niveau national, la pratique des rodéos urbains est en revanche de plus en plus sanctionnée. Selon les chiffres des ministères de la Justice et de l’Intérieur révélés par France Info, le nombre de condamnations pour rodéo urbain en France a augmenté de 39,6% en 2021, passant de 991 en 2020 à 1.383 l’année suivante. Depuis la loi du 3 août 2018, le rodéo urbain constitue même un délit passible d’un an de prison ferme et de 15.000 euros d’amende. À l’échelle locale, en juillet, le procureur de la République de Lyon démontrait lui aussi une forte mobilisation judiciaire en affirmant que les enquêtes pour rodéos étaient ouvertes « de façon systématique ». De son côté, Pascal Mailhos, préfet du Rhône, annonçait en 2021 que 144 policiers avaient été ajoutés dans ce cadre, soit une augmentation des effectifs de 9%.
Pour la sociologue Véronique Le Goaziou, spécialiste des questions de délinquance et de violence, ces procédures ne sont pas forcément dissuasives sur le long terme. « La sanction ne change pas le quotidien de ces jeunes. Elle a du sens puisqu’elle marque quelque chose, mais va-t-elle avoir un effet sur les comportements ? Les délais entre la décision et la mise en application étant parfois énormes, la sanction est sans doute trop extérieure à leur vie de tous les jours. Sans compter le fait que recevoir une sanction peut être, dans l’esprit de certains, une sorte de procédé de valorisation. »
Des effets encore timides
D’après Hélène Geoffroy, les effets de ce dispositif commencent à se faire sentir. Sans donner de chiffres, elle affirme qu’« il y a une diminution des rodéos urbains constatée par les services de l’État et la police municipale ». Contactée par L’Arrière-Cour, la direction départementale de la sécurité publique du Rhône refuse cependant de communiquer ses données.
Du côté des habitants et des commerçants de Vaulx-en-Velin, certains témoignent effectivement d’une réduction de la fréquence des rodéos urbains. « Ils durent depuis un moment et la réponse policière n’était pas forcément adaptée », note Mahfoud Bidaoui. « Cette initiative prise par la Ville de Vaulx-en-Velin est bienvenue parce qu’elle a payé. Je me suis rendu compte, en septembre, qu’il y avait moins de rodéos urbains. Des commerçants me disent la même chose. Quant à mes clients, ils ne me parlent pas de rodéos urbains, donc c’est que ça va ! » Le président de l’association de commerçants vaudois admet cependant la difficulté d’évaluer cette tendance : « En hiver, il y en a forcément moins, le résultat est donc moins tangible. On verra au début du printemps ce qu’il en est. »
« Pour le contribuable, le message est désastreux et inaudible »
Si le programme semble aujourd’hui satisfaire une partie des Vaudais, il a d’abord été fortement critiqué. BFM Lyon a réalisé un sondage sur Twitter en juin 2021. À la question « La Ville de Vaulx-en-Velin veut proposer aux jeunes de faire du motocross sur circuit pour lutter contre les rodéos. Est-ce, selon vous, la bonne solution ? », 64,1% des participants ont répondu « non ». Dans les commentaires, les critiques allaient bon train : « On ne récompense pas les délinquants ! » ; « Un stage marketing pour les dealers ? » ; « Cette blague… Ça met le bordel et on va les entraîner à être meilleurs ».
Pierre Oliver, maire du 2e arrondissement de Lyon (sévèrement touché par le phénomène des rodéos urbains), ne croit pas en ce projet : « Je pense que les adeptes du rodéo ne le font pas par volonté de rouler sur un circuit mais pour pourrir la vie des gens alentour. Ce ne sont pas du tout des personnes qui veulent se lancer dans le motocross à haut niveau ; cela relève de la délinquance, c’est un phénomène que l’on doit endiguer. » Il dénonce l’idée même du dispositif : « Finalement, aux jeunes qui commettent des délits, on va offrir des cours payés par le contribuable. Pour ce dernier, je trouve que le message est désastreux et inaudible. »
Interrogé par L’Arrière-Cour, un porte-parole anonyme des Daltons, ce collectif de rappeurs multipliant les rodéos sauvages à Lyon, appuie l’idée que ce dispositif n’éradiquerait pas les pratiques de motocross dans la rue. À ses yeux, « A Vaulx Cross » est certes « une belle initiative qui pourra très certainement éviter de nombreux accidents liés à la pratique de motocross dans les rues », mais la sensation éprouvée sur le terrain étant « incomparable » à celle de l’espace public, les rodéos urbains ne pourront pas être supprimés. « Dans la rue, on fait le spectacle, c’est notre moment, tout le monde te regarde. Il y a aussi l’adrénaline de savoir que, si on croise la police, il va falloir leur montrer qu’on conduit mieux qu’eux. Une sorte de provocation et de défi pour nous-mêmes qui nous pousse à nous surpasser. Ces sensations-là, jamais tu ne peux les avoir sur un terrain. »
Véronique Le Goaziou analyse : « Les rodéos urbains répondent à toute une série de motivations, comme le plaisir, la compétition, l’attrait de la vitesse, la rivalité, la virilité – puisqu’en général, ce sont des hommes qui font ça. » Pour elle, une formation ponctuelle ne suffira pas pour « saisir et comprendre la signification » ancrée dans ces « habitudes juvéniles ».
« L’adrénaline de la rue, ça va un moment »
À l’inverse, si l’on en croit Abdallah Slimani, membre actif de la « recherche-action PoliCité » qui travaille à améliorer les relations entre police et population vaudaise, le dispositif pourrait réellement amener des jeunes, qui ont goûté au motocross sur terrain, à ne pas retourner dans l’espace public. Il déplore plutôt le manque de matériel pour une pratique sécurisée : « Le seul endroit disponible pour ces jeunes afin de faire du motocross, c’est l’espace public. L’adrénaline de la rue, ça va un moment. Ces jeunes-là en ont assez de se faire poursuivre par les policiers. Ils veulent un terrain. »
Il y aurait ainsi deux publics, l’un ancré dans la délinquance, cœur même des rodéos urbains, et l’autre passionné de motocross, manquant d’espace pour pratiquer et se retrouvant à le faire dans la rue. Selon Synergie Family, parmi les 70 jeunes qui ont participé à ses formations, « 60% ont déjà au moins une fois été sur une moto non homologuée dans l’espace public ». « Les cibles ont été atteintes », avance la maire de Vaulx-en-Velin. Mais ces « cibles » sont-elles réellement les mêmes que celles qui « polluent le quotidien des habitants » ?
Pour le membre actif des Daltons, ce dispositif pourra certes « diminuer » le nombre de rodéos urbains, amenant « ceux qui veulent juste faire du cross » à pratiquer hors de l’espace public. En revanche, « dans l’espace public, il ne restera que les pirates et les Daltons, qui sortent les cross pour les sensations de la rue ». Autrement dit : les cibles les plus problématiques pour les habitants et la ville.
Création d’un terrain et d’un club de motocross, une perspective nécessaire ?
Véronique Le Goaziou juge que, pour bouleverser en profondeur ces pratiques de délinquance, il faudrait s’inscrire le plus possible dans le quotidien des jeunes. Créer un terrain et un club de motocross, comme proposé par Synergie Family, serait ainsi une solution de long terme envisageable. « Plus ça pénétrera l’espace et l’ordinaire du territoire, mieux ce sera. Les mômes seront habitués à voir les grands utiliser le terrain. »
Pour Abdallah Slimani, ce terrain serait une suite nécessaire pour produire des effets notables : « Moi, je vois des effets sur les gens que je connais et qui ont suivi la formation, dont quelques-uns habitent dans mon quartier. Mais pour que cet impact soit davantage perceptible, il faudra vraiment construire le terrain. C’est certain que ces jeunes seraient heureux de se tourner vers un espace de ce genre, plutôt que vers des terrains abandonnés ou l’espace public. »
À Lyon, les habitants tirent la sonnette d’alarme
Ambitieux, ce projet – auquel la maire de Vaulx-en-Velin se dit favorable – pourrait à long terme, pourquoi pas, s’étendre à Lyon. En juin 2021, quelque 500 plaignants des collectifs de citoyens « Lyon en colère » et « Presqu’île en colère » ont assigné Pascal Mailhos et le maire de Lyon, Grégory Doucet, pour manquement à leur « mission de protection de la sécurité et de la tranquillité publiques ». Pointant le sentiment d’insécurité grandissant, les citoyens lyonnais et villeurbannais dénoncent notamment l’inaction et le manque de moyens pour lutter contre les rodéos urbains.
La réponse ne se trouve pas dans « A Vaulx Cross », juge Pierre Oliver, mais dans « l’acquisition de matériel et un arsenal législatif supplémentaire ». Le maire du 2e arrondissement développe : « On partait plus sur la possibilité pour la police de suivre les auteurs avec des drones afin d’éviter des courses-poursuites dans les rues. » Plus encore, il évoque le besoin de sanctions « beaucoup plus fortes » pour les auteurs de rodéos urbains. Pour lui, les sanctions actuelles sont inutiles car elles ne sont tout simplement pas appliquées : « La justice est complètement noyée. Il n’y a pas de place en prison, alors chacun ressort comme si de rien n’était, avec un jugement qui arrivera à année + 1 voire plus, et en définitive très peu de sanctions. »
Avec une nouvelle édition dès les beaux jours, au mois d’avril, « A Vaulx Cross » délivrera probablement ses premiers résultats durant l’été, période la plus propice pour les rodéos urbains. Mais en attendant la création d’un club et d’un terrain de motocross, et malgré les applaudissements d’une partie des Vaudais, le dispositif pourrait déjà montrer ses limites. Et la maire de Vaulx-en-Velin s’interroge toujours sur ce qu’il convient de faire de ces jeunes durant l’automne.
Anaëlle Hédouin
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