Appâts empoisonnés : des oiseaux protégés victimes de pesticides
Mer 2 Oct - 16:54
Mai 2024, un cadavre de pygargue à queue blanche est découvert près d'un étang des Ardennes. Il faisait l'objet d'un programme de réintroduction dans le milieu naturel mené par le parc animalier Les Aigles du Léman, qui assurait le suivi des balises posées sur les rapaces. Après enquête de l’Office Français de la Biodiversité, une perquisition dans une pisciculture des Ardennes mène à la découverte et à la saisie de dizaines de kilos de pesticides interdits. Le pisciculteur et son employé fabriquaient des appâts mortels pour les oiseaux en empoisonnants au carbofuran des poissons morts qu’ils répartissaient autour des étangs.
Cet appatâge a conduit à la destruction de plusieurs espèces protégées, notamment une cigogne noire et un pygargue à queue blanche. En France, comme le relaie la Ligue de Protection des Oiseaux (LPO), la population de pygargue est extrêmement restreinte (environ trois couples reproducteurs). Malgré ce statut, les destructions de pygargues restent fréquentes.
Si la Cigogne noire est plus présente en France que le pygargue, elle demeure une espèce menacée, classée en danger sur la liste rouge des oiseaux nicheurs de France métropolitaine. Selon les données du Muséum national d'Histoire naturelle, il s’agit en outre d’une espèce déterminante de l’inventaire ZNIEFF de la région Champagne-Ardenne, c’est-à-dire une espèce suffisamment intéressante pour montrer que le milieu naturel qui les héberge présente une valeur patrimoniale plus élevée que les autres milieux naturels environnants.
En outre, de nombreuses espèces protégées ont pu pâtir de cet appatâge : hérons, aigrettes, bihoreau, … se nourrissant sur les bords des étangs. Si les pisciculteurs affirmaient viser les cormorans, ces derniers, n’étant pas charognards comme la rappelé l’OFB à l’audience, n’étaient en réalité pas visés par appatâge, et apparaissent comme les boucs-émissaires de l’affaire.
La pisciculture en danger ?
Les pisciculteurs font état des pressions qu’ils subissent sur leur exploitation du fait de l’augmentation du nombre de cormorans lié à leur bon état de conservation. Pourtant, la pisciculture manquait de mesures de protection : pas de filets ou fils tendus sur la surface du plan d’eau, ni d’installation de refuges et de végétation où les poissons peuvent s’abriter, ni d’aménagement du calendrier piscicole selon les cycles de vie des espèces. Le pisciculteur bénéficiait en revanche d’un quota de tir, qu’il dépassait allègrement sans avoir demandé une augmentation de ce quota. En 2023, France Nature Environnement avait déjà alerté sur les idées reçues entourant les cormorans et la pisciculture et les moyens de protéger son exploitation
Pesticides illicites : posséder c'est déjà être dans l'illégalité
En France, la simple détention de pesticides illicites est interdite, peu importe qu’ils soient utilisés ou non. Cette interdiction se justifie par les nombreux risques sur l’environnement, notamment, la contamination des milieux et l’atteinte à la biodiversité et les risques pour la santé humaine.
La pollution chimique impacte largement la qualité des cours d’eau et plans d’eau de France : les pesticides se dispersent dans les milieux après utilisation, et peuvent ainsi entrainer une dégradation des eaux souterraines. Ces contaminations peuvent conduire à la fermeture de captages indispensables à l’accès à l’eau pour les citoyen.es dont les agriculteurs et agricultrices.
Les pesticides impactent largement la biodiversité, le carbofuran utilisé lors de cette affaire est un insecticide et un nématicide classé dans la classe de toxicité très dangereux de l'OMS, interdit en France depuis 2008. Selon l’INERIS, le produit est même mortel par inhalation. Dans notre affaire, le pisciculteur détenait une vingtaine de kilos de ce pesticide, qu’il utilisait cinq à six fois par an sur une dizaine de poissons à chaque fois et ce depuis au moins une dizaine d’années pour créer des appâts empoisonnés
Les pesticides présentent de graves risques sur la santé humaines, et peuvent provoquer des pathologies graves telles que la maladie de Parkinson.
Pour Pia Savart, juriste chez France Nature Environnement : "Les pesticides à la maison : c’est non ! Passez le message autour de vous, si vous avez des stocks, anciens ou non, et que ces pesticides sont interdits ou que vous n’avez pas d’autorisation de les détenir, des services de collecte pour les professionnels et les particuliers existent. Il y a un risque constant qu’ils se répandent dans la nature, en cas d’inondations par exemple, avec les terribles conséquences que l’on connait."
L’affaire se règle en justice
L’importance des sanctions en matière de détention illicite des pesticides et leurs impacts sur l’environnement a été fermement plaidé par France Nature Environnement devant le Tribunal correctionnel de Troyes, qui a également soutenue la demande de préjudice écologique unique portée par la LPO.
Les peines sont conséquentes pour les pisciculteurs : 8 mois et 4 mois d’emprisonnement avec sursis assortis d’amendes contraventionnelles et de peines complémentaires comme la diffusion de la décision dans la presse locale ou l’interdiction de passer le permis de chasse et une peine d’amende de 40 000 euros dont 20 000 euros avec sursis pour l’entreprise.
En revanche, certains éléments interrogent et nécessiteront la lecture de la décision : les pisciculteurs ont été relaxés de la destruction de la cigogne noire et de l’infraction de chasse en temps prohibé.
S’agissant du préjudice écologique, la demande de réparation unique portée par la LPO et soutenue par France Nature Environnement a été rejetée.
Seul l’agent judiciaire de l’État a obtenu la somme de 32 602 euros au titre du préjudice écologique. Une somme bien en deçà de celle demandée : si elle est nécessairement réduite du fait de la relaxe de destruction de la cigogne noire, elle reste faible au vu des enjeux et coûts associés à la réintroduction du pygargue à queue blanche.
Forte de son expertise en matière de pesticides, France Nature Environnement continuera son plaidoyer, ses actions de sensibilisations et contentieuses à l’encontre de la détention et de l’utilisation de ces pesticides toxiques.
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