Les propositions du Spiil lors de la présidentielle de 2022 pour une presse robuste, indépendante et plurielle
1. Créer un Centre national de la presse
Le Spiil ne peut que constater la fragilité croissante et la désunion du secteur de la presse et invite à dresser un bilan de l’intervention de l’État dans le secteur : inefficacité des systèmes d’aides, dispositifs manquant de transparence, absence d’analyse d’impacts.
Pour répondre à ces enjeux, le Spiil propose de fédérer la profession autour d’un Centre national de la presse et des médias. Sous forme d’établissement public à l’instar du Centre national de la musique ou celui du Cinéma, il endosserait un rôle opérationnel et prospectif. Le Centre national de la presse constituerait un espace de débat et d’arbitrage. Il s'agirait d'un organe professionnel, compétent, neutre, émanant de l’État, mais incluant tous les acteurs au sein de ses instances, à la fois l’État et les organisations professionnelles.
Cette structure aurait pour mission de coordonner les politiques de soutien public à la presse, de publier des études régulières sur le secteur (qui manque cruellement de données en temps réel sur les usages comme sur son économie), d’assurer la collecte et la diffusion des informations auprès des professionnels et du grand public sur les enjeux du secteur (désinformation, environnement, pluralisme, etc.), de servir de lieu de formation pour encourager l’innovation, de soutenir la cohésion sociale du secteur (insertion des journalistes, précarité des pigistes, etc.) et de gérer le versement des aides publiques.
Le Centre national de la presse pourrait ainsi servir d’observatoire sur les évolutions du secteur et de lieu d’échange entre ses acteurs pour répondre aux défis communs, comme le rapport aux grandes plateformes numériques, la lutte contre la désinformation ou les atteintes à la liberté de la presse.
Proposition : créer un Centre national de la presse
2. Faire reconnaître la liberté de la presse en tant que principe constitutionnel et réintégrer tous les délits d’opinion dans la loi de 1881
La liberté de la presse est un droit fondamental dans une démocratie. Or, cette liberté ne fait pas partie en France des droits fondamentaux définis dans la Constitution et ne bénéficie pas de la protection suprême accordée par ce texte. Ainsi, nous assistons depuis quelque temps à une remise en cause régulière de la liberté de la presse.
Par ailleurs, la loi de 1881 sur la liberté de la presse a fait l’objet de plusieurs grignotages. Avec la loi de 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme puis la loi de 2021 confortant les principes de la République en 2021, des délits d’expression ont été sortis de cette loi équilibrée.
Le Spiil a regretté à chaque fois cette évolution de la loi, mue par l’urgence de répondre à l’émotion collective, et appelle à une réintégration de tous les délits d’opinion dans le strict cadre de la loi de 1881. Ces mesures risquent en effet de conduire à une autocensure préjudiciable à l’écosystème démocratique de l’information.
Proposition : le Spiil demande aux candidats à la Présidence de la République de s’engager à porter l’inscription de la liberté de la presse comme principe constitutionnel et de réintégrer tous les délits d’opinion dans le cadre de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse
3. Refondre les aides à la presse au service du pluralisme de l’information
Les aides à la presse tirent leur légitimité d’un nécessaire pluralisme : le citoyen doit avoir accès à une diversité de regards sur l’actualité pour exercer ses droits, à partir d’informations vérifiées par des professionnels respectueux de la déontologie journalistique. Cependant, l’impact réel des aides actuelles au pluralisme n’est pas évalué, comme le regrette d’ailleurs régulièrement la Cour des comptes. Le Spiil propose de mettre en place des indicateurs de mesure de l’impact des aides sur le pluralisme pour veiller à leur efficacité.
Avec le développement du numérique, le principe de neutralité des supports de presse, qu’il s’agisse des taxes, des aides ou de l’accès aux marchés réglementés est devenu un élément clef de ce soutien public au pluralisme. En 2020 pourtant, le montant des aides aux médias imprimés est toujours disproportionné par rapport aux médias numériques, et plusieurs types d’aides restent réservées au papier. Dans son panorama des aides à la presse publié fin 2021, le Spiil constate que le papier capte 92 % du total des aides à la presse et que 63 % des aides publiques restent réservées aux titres de presse édités sur papier. Le montant de ces aides est par ailleurs concentré sur un petit nombre d’acteurs (9 groupes cumulent ainsi 61% des aides directes).
Pour remettre les aides à la presse au service du pluralisme, de l’indépendance et de l’innovation, le Spiil préconise une refonte globale du système autour de six idées :
- Neutralité des supports : les aides ne doivent privilégier aucun support.
- Évaluation : mise en place d'indicateurs de performance des aides à la presse en mesurant leur impact sur le pluralisme de l’information.
- Aides indirectes : le renforcement des aides indirectes (fiscalité, cadre réglementaire et social) doit renforcer de manière pérenne l’ensemble de l’écosystème de la presse.
- Aides directes : attribuées de manière ponctuelle et transparente, les aides directes ne doivent pas avoir d’autre but que de favoriser l’innovation, les transformations technologiques, l’adaptation à de nouveaux modèles économiques et l’émergence de nouveaux médias.
- Pluralisme : les aides doivent être attribuées avec comme critère essentiel leur impact sur le pluralisme.
- Déontologie : l’attribution des aides doit être conditionnée à l’application de la loi, notamment sur la séparation stricte entre contenus rédactionnels et publicitaires et sur les règles de transparence concernant l’actionnariat des sociétés éditrices.
- Indépendance : une partie substantielle des aides doit favoriser le développement d’entreprises de presse indépendantes, non liées à des groupes dont l’activité principale n’est pas l’information.
Proposition : évaluer les aides en fonction de leur impact sur le pluralisme de la presse et garantir une neutralité des supports dans l’octroi des aides publiques
Pour sortir de la logique actuelle, peu lisible, de guichets d’aides consacrés à chaque famille de presse, le Spiil demande un regroupement des aides directes à la presse, afin qu’elles reposent sur des critères identiques pour tous les médias, qu'ils soient numériques ou imprimés. Pour tenir compte de la contribution au pluralisme de chaque média, cette aide pourrait également tenir compte des coûts de production journalistiques, en favorisant les médias qui investissent le plus dans la production d’informations originales.
Proposition : assurer une refonte globale en fusionnant les guichets d’aides directes et en repensant les aides indirectes
Le Spiil souhaite que l’attribution des aides soit conditionnée de façon effective à l’application de la loi, notamment sur la séparation entre contenus rédactionnels et publicitaires. Le Spiil souhaite également que soit vérifiée l’application des dispositions concernant l’adoption d’une charte déontologique et la publication de la liste des principaux actionnaires.
Proposition : écarter des aides les médias qui ne respectent pas les obligations légales
4. Lutter contre la désinformation grâce au renforcement des politiques d’éducation aux médias et à l’implication des plateformes
En 2018, le rapport d’information parlementaire rédigé par Bruno Struder dans le cadre de la mission d’information sur l’école dans la société numérique a pointé le caractère hétérogène de l’accès à l’éducation aux médias et à l’information dans l’enseignement, de l’école élémentaire au lycée. À ce jour, il n’existe pas de socle minimal d’heures d’éducation aux médias et à l’information. Les projets d’éducation aux médias et à l’information sont lancés sur la base du volontariat par les établissements, avec les professeurs et le concours du Centre de liaison de l'enseignement et des médias d'information (Clemi), qui organise notamment la semaine de la presse à l’école.
Le rapport Studer et le Conseil économique, social et environnemental ont également pointé l’inadéquation entre l’ambition annoncée du gouvernement pour assurer une formation des élèves face aux enjeux du numérique et les moyens humains et financiers mis en œuvre pour atteindre les objectifs fixés. Or, l’éducation aux médias et le développement d’un esprit critique sont nécessaires pour permettre aux citoyens d’aiguiser leur jugement face à la prolifération d’informations non vérifiées.
L’augmentation des crédits aux médias passe par un renforcement de la capacité d’action du Clemi et par le soutien aux entreprises qui interviennent dans les établissements scolaires pour sensibiliser les élèves à la démarche journalistique.
Proposition : augmenter les crédits alloués à l’éducation aux médias
Le Spiil rejoint les propositions formulées dans le rapport Bronner concernant le renforcement de l’éducation aux médias et à l’esprit critique tout au long de la scolarité, y compris pour les élèves des filières de l’enseignement technique et technologique.
Proposition : renforcement des mesures d’éducation aux médias, à l’information et à l’esprit critique
Pour répondre aux questions des élèves et pour expliquer les dynamiques de la désinformation, le Spiil suggère de veiller à ce que les enseignants bénéficient d’au moins un module de formation initiale consacré aux médias et à la désinformation et de leur permettre de réactualiser régulièrement leurs connaissances.
Proposition : améliorer la formation des enseignants sur les médias et l’information
Par ailleurs, le modèle de revenu des réseaux sociaux est construit sur les recettes publicitaires générées par de hauts niveaux d’audience et d’interaction des internautes. Pour cela, les algorithmes tendent à mettre en avant des contenus scandaleux ou faux qui vont engendrer une réaction des internautes et à suggérer prioritairement des publications qui confortent leurs opinions politiques, les enfermant dans des « bulles de filtres » qui leur donnent une vision tronquée de la société. Les bulles de filtres tendent aussi à créer des communautés affinitaires assez hermétiques, qui vont se fédérer autour d’opinions extrêmes, aggravant le phénomène de polarisation de l’opinion publique. Ces bulles de filtre menacent le pluralisme, car les lecteurs ne sont exposés qu’à un nombre limité d’opinions.
Nous pensons qu’une stratégie de régulation des contenus par les plateformes elles-mêmes ne constitue pas une solution acceptable pour protéger le pluralisme. Laisser les plateformes définir seules ce qui relèverait de la désinformation exposerait à un risque de censure.
Au vu de l’impact des réseaux sociaux sur le pluralisme et de leur rôle dans la propagation de fausses informations, le Spiil propose de demander aux plateformes d’assurer une meilleure transparence de leurs algorithmes de hiérarchisation des contenus.
Pour protéger le secret des affaires et rendre la mesure acceptable par les plateformes, le Spiil propose que les principes régissant les algorithmes et leurs évolutions soient communiqués par les plateformes auprès d'une autorité indépendante de régulation au niveau européen.
Proposition : obliger les plateformes à plus de transparence sur leurs algorithmes
Le Spiil propose également, comme le suggère le rapport Bronner, un droit d'accès étendu aux données des plateformes pour les chercheurs. Un tel accès permettrait de répondre aux questions soulevées par les fake news et la manipulation de l'information.
Le Spiil propose d’exiger des plateformes qu’elles offrent aux usagers la possibilité de paramétrer leurs préférences afin de les exposer à des opinions variées et de limiter la formation des bulles de filtres, assurant ainsi une vision plurielle du monde et leur permettant de confronter leurs points de vue.
Nous proposons aussi d'interdire aux plateformes de favoriser des médias avec lesquels elles ont conclu des accords commerciaux dans la présentation et la hiérarchisation des contenus proposés dans leurs services de base.
Proposition : veiller à ce que les utilisateurs de plateformes soient exposés à une pluralité d’opinions
Une étude du CSA a montré que les comptes de fact-checking bénéficient d’une visibilité moindre que les comptes diffusant de fausses informations, car ils génèrent un engagement moins important. Il pourrait être pertinent de demander aux plateformes de veiller à leur donner une visibilité équivalente.
Proposition : renforcer la visibilité des fact-checkers sur les plateformes
5. Remplacer les différentes définitions de l’IPG par une appellation unique, plus lisible
Le Spiil considère que l’actuel statut IPG est inadapté à l’ère numérique. Il crée des distorsions de concurrence problématiques : certains acteurs, les uns disposant du statut IPG, les autres non, se retrouvent aujourd’hui sur un même marché. Sur Internet, les contenus d’une rubrique « emploi » d’un quotidien généraliste concurrence les mêmes contenus publiés par un journal spécialisé sur l’emploi.
De plus, la multiplicité des définitions de la notion d’IPG (article 2 du décret du 29 octobre 2009, article D.19-2 du code des postes et communications électroniques, article 39 bis A du code général des impôts) ajoute aux difficultés un problème d’illisibilité et d’opacité des règles, donc d’insécurité juridique des entreprises de presse, en contradiction avec les démarches de simplification administrative entreprises par l’État dans un certain nombre de domaines. Le soutien public est d’autant plus légitime qu’il se base sur des critères compréhensibles par tous et non discutables.
La multiplicité de définitions demande un effort important de compréhension pour les éditeurs et rend la notion inaccessible au grand public. Cette situation soulève donc un problème de transparence des dispositifs relatifs aux aides à la presse. L'opacité qui en résulte ne peut qu'entretenir la défiance d'une partie significative des citoyens vis-à-vis des médias.
Ainsi, le Spiil demande le regroupement des statuts IPG et 39 bis A dans un nouveau statut centré sur une « information politique et citoyenne » (IPC), c’est-à-dire une information s’adressant au citoyen, non pas simplement en tant qu’électeur, mais en tant qu’individu responsable, participant à « la vie de la cité », dans toutes ses dimensions : politique, économique, culturelle, sociale, scientifique, environnementale, professionnelle, artistique, éducative, etc. La définition de l’IPC devra répondre à des critères simples, facilement vérifiables.
Proposition : regrouper les statuts IPG et 39 bis A dans un nouveau statut centré sur une « information politique et citoyenne » (IPC)
6. Permettre l’accès aux données publiques et documents administratifs
La transparence sur les données publiques et les documents administratifs constitue une condition incontournable du fonctionnement démocratique d’une société. Par ailleurs, la bonne information du public contribue à la prévention des fausses informations. Pour les journalistes, la mise à disposition de ces données constitue un matériau indispensable pour faire un travail d’information documenté. L’ouverture des données et des documents administratifs a donné lieu à des législations dans ce sens dans de nombreuses démocraties, y compris en France.
Si des progrès indéniables ont été réalisés ces dernières années en matière d’ouverture des données publiques, de nombreuses administrations s’affranchissent encore complètement de cette obligation. Des feuilles de route précises ont ainsi été adressées aux différentes directions ministérielles mais les collectivités locales et les services déconcentrés de l’État (rectorats, préfectures) ouvrent par exemple encore très peu leurs données.
La communication sur cette mise à disposition des données constitue également un enjeu essentiel, car il ne suffit pas que les données existent pour les porter à connaissance des citoyens, notamment des journalistes qui pourront les utiliser pour étayer leurs articles. Actuellement, le portail DataGouv comprend 40 000 jeux de données. Celles-ci sont toutefois livrées de manière brute, sans explications contextuelles. Elles restent ainsi peu compréhensibles et difficilement utilisables.
Par ailleurs, la livraison de ces jeux de données s’effectue le plus souvent sans communication au moment de leur mise à disposition.
Comme l’a souligné la mission Société numérique, à l’occasion du 10e printemps de DataGouv, l’adaptation de l’offre de données à la demande est l’un des enjeux pour rendre efficace l’ouverture des données.
Pour systématiser la mise à disposition des données publiques et encourager leur utilisation, le Spii fait 3 propositions :
Proposition : Préciser à chaque producteur de données publiques sa feuille de route en matière d’ouverture des données assortie d’un calendrier de réalisation.
Proposition : Cette feuille de route précisera non seulement les types de données à ouvrir mais les formats attendus afin de faciliter la comparaison des données, et la fréquence de leur mise à jour.
Proposition : améliorer la médiatisation de la mise à disposition des nouveaux jeux de données
7. Encadrer la communication territoriale
L’audience de la communication territoriale, via les bulletins municipaux et autres canaux de communication, a dépassé depuis une dizaine d’années celle de la presse indépendante locale, selon les baromètres de la communication locale publiés régulièrement par l’association Cap’Com. L'écart se creuse même de plus en plus puisqu’en moyenne, les habitants indiquent s’informer à 71% via les bulletins municipaux contre 55% via leur quotidien régional. Cette situation est préoccupante car ces médias ne sont pas indépendants. Leur ligne éditoriale reflète celle de l’exécutif, du choix des sujets à la manière de les traiter. L’information indépendante et son pluralisme constituent pourtant un enjeu démocratique, inscrit à l’article 34 de la Constitution. Il est urgent d’encadrer cette communication. Cela passe par une distinction claire entre l’information de service public, la promotion des élus et les autres types d’information des médias institutionnels locaux. Il convient aussi de veiller aux conflits d’intérêt entre presse indépendante et élus locaux. Le Spiil défend trois propositions en ce sens.
Proposition 1 : transparence et encadrement des dépenses de communication
Demander aux collectivités de produire un rapport annuel détaillant les dépenses de communication, précisant notamment les dépenses relatives aux différents médias (magazines, site Internet, application, web TV…) ainsi que le budget publicité alloué à chaque média local. Ces dépenses pourraient être limitées à un certain montant par habitant.
Proposition 2 : éviter l’assèchement du marché publicitaire local
Interdire aux collectivités de recourir à la publicité pour financer leurs médias afin d’éviter des distorsions de concurrence avec les médias indépendants locaux dont le modèle repose en partie sur la publicité. Cette mesure figurait dans le rapport du député Giran pour améliorer le fonctionnement de la démocratie locale, publié en 2012.
Proposition 3 : informer avant de communiquer
Demander aux collectivités de publier les données brutes relatives aux décisions locales (ordre du jour des conseils municipaux, délibérations, compte-rendu complet des séances, arrêtés…) dans le cadre de relevé des actes mis en ligne dans les 7 jours suivant la décision, afin de permettre un véritable travail d’information. Recommander la retransmission filmée ou audio des Conseils municipaux.
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