+1,5°C DE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE, UN SEUIL BIENTÔT DÉPASSÉ?
Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) a publié le premier chapitre de son sixième rapport (1) juste après le mois de juillet 2021, qui s’est avéré être le mois le plus chaud jamais enregistré à l’échelle planétaire (2) Les incendies et inondations de l’été semblent d’ailleurs venir rappeler que la température moyenne du globe se réchauffe et provoque une augmentation de la fréquence d’événements extrêmes.
Selon le GIEC, la température moyenne a augmenté de 1,1°C depuis le début de l’ère industrielle, et une augmentation de 1,5°C pourrait être atteinte dès 2030. Et cela, alors que la majorité des Etats ont ratifié l’Accord de Paris en 2015, visant à “contenir l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels et de poursuivre l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5°C”.
Corinne LE CAIGNEC - Sustainable Solutions Director
Diplômée des Mines ParisTech et d’un Master Environnement, Corinne Le Caignec a plus de 20 ans d’expérience dans de grandes sociétés dans le secteur de l’industrie et des médias. Elle a rejoint en 2020 la société d’édition de logiciels kShuttle en tant que Sus- tainable Solutions Director afin d’accompagner les entreprises dans la gestion de leurs risques, dans la mise en place et le pilotage de leur stratégie RSE et de leur performance durable.
CLIMAT : UNE AFFAIRE D'ENTREPRISE ? À L'AUBE DE LA COP26 ET DE L'ENTRÉE EN VIGUEUR DE LA TAXATION VERTE, À QUEL CURSEUR PEUT-ONPLACER LA RESPONSABILITÉ DES ENTREPRISES ? COMMENT CELLES-CI PEUVENT-ELLES TROUVER LEUR PLACE ENTRE RÉGLEMENTATION, PÉRENNITÉ ET CONSCIENCE ENVIRONNEMENTALE ?
UNE RÉPONSE APPORTÉE PAR CORINNE LE CAIGNEC, RESPONSABLE RSE AU SEIN DE L'ENTREPRISE kSHUTTLE.
QUEL RÔLE À JOUER POUR LES ENTREPRISES DANS LA LUTTE CONTRE LE CHANGEMENT CLIMATIQUE?
Alors que la cause humaine du réchauffement climatique n’est plus remise en doute par les scientifiques, se pose la question de la part d’effort à fournir par les différents types d’acteurs : états, collectivités, consommateurs, entreprises, investisseurs, etc.
Parmi eux, les entreprises ont un rôle clé à jouer dans la lutte contre le changement climatique, même si toutes n’ont pas la même intensité carbone. Comparée à une entreprise de service, une entité industrielle aura en effet un impact climat supérieur, mais un potentiel de réduction de ses émissions d’autant plus important.
DES RÉGLEMENTATIONS VISANT À RESPONSABILISER LES ENTREPRISES
Depuis quelques années maintenant, le régulateur français semble vouloir inciter les entreprises à reconnaître leur rôle dans la lutte contre le changement climatique. Dès 2012, il a exigé des entreprises de plus de 500 salariés la publication d’un bilan d’émissions de gaz à effet de serre (BEGES réglementaire).
En 2015, ce premier exercice a été suivi par un nouvel encadrement, qui ne visait cette fois-ci pas directement les entreprises, mais qui in fine les embarquait. L’article 173-VI de la loi de transition énergétique pour la croissance verte (TECV) exige en effet des investisseurs qu’ils publient désormais l’empreinte carbone de leur portefeuille. Même si les sociétés d’investissement émettent très peu de gaz à effet de serre, elles sont tout aussi clés pour la lutte contre le changement climatique. Au travers de leur décision d’investissements, elles permettent le fléchage des financements, elles impulsent un signal aux entreprises plus ou moins émettrices et permettent d’orienter l’économie vers des activités moins carbonées.
Avec pour conséquence, une empreinte carbone qui désormais fait quasi systématiquement partie des critères de notation ESG (environnementale, sociale et de gouvernance) mis en place par les agences de rating extra-financier pour éclairer ces choix d’investissements. Les entreprises ont donc tout intérêt à réaliser et à présenter une bonne performance carbone afin de ne potentiellement pas être exclues de l’univers d’investissement de certains acteurs financiers.
Les bénéfices associés à l’évaluation de l’empreinte carbone ne se limitent pas à la décision d’investissement : ils sont indispensables au déploiement des stratégies d’engagement des investisseurs les plus engagés qui cherchent à promouvoir les bonnes pratiques au sein de leur portefeuille d’investissement et incitent les entreprises à réduire leurs émissions de CO2.
LES LIMITES DE L'APPROCHE RÉGLEMENTAIRE ET DE L'EMPREINTE CARBONE
Malgré ce cadre réglementaire existant, de nombreuses entreprises parviennent encore à s’extraire de l’obligation de publier un bilan carbone : les entreprises de moins de 500 salariés, les groupes avec des filiales de moins de 500 salariés, ou encore les entreprises étrangères soumises à des réglementations moins contraignantes… En outre, le bilan GES n’est exigible que tous les 4 ans (1). Ce qui rend les exercices de comparaison ou de consolidations de bilan carbone difficile – notamment pour les investisseurs.
Autre limite : dans l’absolu, l’empreinte carbone seule ne permet pas à une entreprise de tirer les enseignements nécessaires à la compréhension précise de ses impacts et à l’identification des leviers d’action de progrès. Elle se révèle surtout pertinente lorsqu’elle est comparée, ou ramenée à d’autres indicateurs d’activité. Par exemple, lorsqu’elle est rapportée à son chiffre d’affaires – on parle alors d’intensité carbone –, ou encore lorsqu’elle est comparée à des benchmarks (quand il est possible d’identifier des groupes de comparaison de taille et secteur d’activité similaire).
(1) https://www.ecologie.gouv.fr/neutralite-carbone-des-entreprisesLE BESOIN DE NOUVELLES MÉTHODOLOGIES ET OUTILS DE MESURE
À l’heure où il s’agit de réduire rapidement les émissions et s’aligner sur les 2°C, cette approche ne suffit plus. Les indicateurs d’un bilan carbone n’offrent que des photos à un instant t, alors que ce sont les trajectoires qui importent. Plusieurs organisations, comme l’Agence Internationale de l’Énergie, développent régulièrement des scénarios modélisant les efforts à fournir afin de rester en dessous des seuils critiques du réchauffement climatique. Pour cela, des « budgets carbone » ou encore des quantités maximales d’émissions carbone acceptables, sont définis pour chaque secteur d’activité, voire pour chaque entreprise, en fonction de leur secteur et leur chiffre d’affaires.
En suivant ce type d’approche, il est aujourd’hui possible de vérifier si une entreprise dépasse ou non son « budget carbone », soit à un instant t, soit dans le futur. Des méthodologies poussées comme PACTA (*), vont jusqu’à analyser les plans de production des entreprises dans les secteurs les plus émetteurs. Ainsi, lorsqu’une entreprise du secteur énergétique prévoit d’augmenter ses capacités en énergies fossiles ou renouvelables dans les 5 ans à venir, il devient possible d’anticiper sa trajectoire carbone et d’étudier son futur alignement avec un scénario 2°C.
DÉFIS POUR LES ENTREPRISES
Aujourd’hui, ces approches par scénarios souffrent encore certainement d’un manque de standardisation, mais l’essentiel reste que les entreprises, à l’issue de ces exercices de projection, se fixent des objectifs de réduction.
En outre, les entreprises doivent être attentives à ce que ces objectifs soient cohérents avec leurs objectifs financiers et/ou leurs plans de production.
Et pour ce faire, les entreprises peuvent difficilement se passer d’outils de pilotage de la performance. Ces derniers leur permettent de suivre elles-mêmes les progrès réalisés, mais également d’être capables de les communiquer à leurs parties-prenantes, élément incontournable à l’heure où les réglementations exigent toujours plus de transparence des entreprises sur les enjeux climatiques.
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