Nicole Estérolle (un pseudo) est connue dans le monde de la culture pour son combat contre l'évolution - et la financiarisation - de l'Art contemporain. Ses courriels, envoyés selon elle à plus de 20000 journalistes et de nombreux "décideurs" du monde de la culture qui en France sont des fonctionnaires, sont considérés par certains comme "démagos, nauséabonds et populistes", ce qui semble l'amuser. Reste que son regard polémique sur la Biennale d'Art Contemporain de Lyon ne manque pas d'intérêt... A lire avant de vous faire une idée par vous-même !
" L’artiste new yorkais Roe Ethridge a bien voulu confier au curator suédois Gunnar B. Kvaran ses photos de vacances familiales pour en faire les visuels, logos et affiches de la Biennale d’art contemporain de Lyon 2013. Ainsi, la première image nous montre le visage de l’artiste avec un œil au beurre noir ; la seconde, le visage plutôt souriant d’un jeune porc ; la troisième, une femme soufflant dans un bubble-gum ; la quatrième, une autre jeune femme sans anomalie ou trauma apparents.Le visage à l’œil poché sera donc affiché pendant trois mois à tous les coins de rues, sur des milliers de panneaux publicitaires dans la ville, de telle sorte qu’aucun des un million trois cents mille habitants de l’agglomération lyonnaise ne puisse échapper à cette image d’art contemporain, pleine d’espoir, de douceur, de poésie, et particulièrement bienvenue en ces temps de dépression morale et économique généralisée.
Outre ce matraquage visuel au niveau local, des sommes colossales ont été affectées pour la communication de l’événement au niveau national et international, et placer ainsi la ville de Lyon dans le top ten des villes les plus culturellement dynamiques de la planète.
Le journal le Monde, notamment, témoin toujours privilégié des plus belles avancées de l’art de notre temps, a été l’un des premiers bénéficiaires de cette manne publicitaire avec un cahier spécial de 4 pages au centre de son édition du 13 09 2013. Il a publié aussi ce quart de page dont je vous joins la copie, où l’on voit les 4 visuels sus-indiqués, en proposant à ses lecteurs de jouer avec eux à une sorte de « cadavre exquis » de haute tenue intello-d’Onan. (une bonne partie des textes des quatre pages centrales a été écrite par mon pote Harry (Bellet)… mais je lui pardonne, parce qu’il a su y rester calme, distancié et factuel, comme le merveilleux jésuite amateur de bon whisky qu’il sait être… mais que ne sait pas être sa collègue, Emmanuelle Lequeux, toujours au bord de l’épectase ou de la turgescence cérébrale fatale, dès qu’elle parle d’art ceptuel ou temporain .
France Info, France culture, France3, Télérama, etc… pour ne pas être en reste, sont également partenaires afin de nous redire quotidiennement les vertus de cette biennale qui s’affirme donc surtout comme une énorme machine à médiatiser et à se médiatiser d’abord elle-même… un média en soi et pour soi, comme une grosse hernie d’autosatisfaction communicationnelle… d’où probablement la signification de l’affiche de la fille au bubble-gum, comme on nous fait des vessies (de porc) que nous devons prendre pour des lanternes (culturelles). .. comme on nous fait par ailleurs des enflures spéculatives, parmi les multiples sortes d’enflures qui occupent le champ de l’art contemporain …
Et c’est pour cela que les artistes, en tant qu’ éléments constitutifs de cette construction frénétiquement communiqueuse, ont été choisis beaucoup plus pour leur aptitude à déclencher du commentaire sur eux -mêmes et sur l’évènement, que pour une éventuelle qualité intrinsèque ou pour une mystérieuse, douce et poétique évidence qui rendrait muets d’émotion la plupart des chroniqueurs d’art, et réduirait à néant l’utilité de cette entreprise en tant qu’appareil à produire des mots, du buzz, de l’effet Larsen, de l’acouphène, de la parlote entre collègues de bureau et de logorrhée journalistique.
Notre fringant curator international a donc parcouru le monde aux frais de la Princesse, pour trouver des produits hautement buzzants et communicatogènes, dont l’efficacité médiagénique se mesure à l’aptitude à la spectacularité, à la processualité, à la discursivité, à la provocation, à la transgression, au scandale, à l’interpellation, à l’agression visuelle, au « dérangement du bourgeois », au « bouleversement des codes, à l’« l’exploration des limites », au non-sens, à la dérision, à l’autodérision, au cynisme, la morbidité, à l’obscénité, au dépressif, à la négativité, à l’interrogation psychogène de tout et de n’importe quoi… Avec, en projet commun, ce permanent et lancinant questionnement sociétal assez rase-motte, où chacun, sous prétexte de récit ou de « transmission », car c’est là le mot – concept - fourre-tout, très obsessionnel pour le directeur de cette biennale : communiquer et transmettre à tous prix, mais sans savoir exactement quoi ni pourquoi, mais qu’importe du moment que ça fait du gros effet Larsen médiatique .
Dés lors chaque artiste y va librement de sa métaphore bien pesante, de son allusion bien téléphonée, de son illustration bien pop-braillarde, de sa « narration » bien streetarteuse, de son allégorie bien épaisse et de sa symbolique bien compréhensible (y compris ce brave pépé Gudmundur (Erro) qui y va de son Guernica irakien), bref, une sorte d’ art lourdement chargé d’un « message »sur les misères de ce monde, très « engagé sociétalement » au sens le plus pâteux, confus, bidouillé, opportuniste, sournois, combinard et récupératoire du terme.
Et voici, pour preuve, ce que nous disent les notices explicatives concernant l’engagement ou « process » de quelques -uns des participants à cette biennale :
«Juliette Bonneviot nous raconte l’histoire assez simple d’une ménagère écologiste et des déchets qu’elle produit au jour le jour… Ian Cheng raconte des histoires a priori banales : un accident de voiture, une bagarre de rue ou une chasse au lapin… Karl Haendel revient sur la tuerie d’Aurora, pour aborder les notions d’envie, de fascination et de violence… Ed Atkins parle de la dépression, dans tous les sens du terme...Trisha Baga se situe entre le regard et l’investigation…Matthew Barney s’appuie sur la créativité provoquée par l’obstacle et la répression… Gerry Bibby interroge la notion même de « langage » artistique ... Dineo Seshee Bopape raconte des histoires qu’elle interrompt parfois avant leur terme, ajoutant au récit linéaire habituel le chaos esthétique…The Bruce High Quality Foundation aborde les notions de respiration, de psyché et de guérison… Jason Dodge témoigne d’un moment, celui d’un médecin et de plusieurs enfants qui ont dormi sur des coussins qu’il déploie dans l’espace d’exposition… Aleksandra Domanović raconte les blessures de l’Histoire, celles qu’on guérit par le déni collectif... Gabríela Friðriksdóttir aborde la question du crépuscule… Patricia Lenox compose un assemblage mural où se retrouvent un interrupteur et des câbles électriques … Ann Lislegaard s’inspire librement de la chouette artificielle de Blade Runner…Nate Lowman mélange les détritus de la culture pop avec ceux du langage quotidien… Václav Magid conçoit ses œuvres comme des projets d’exposition conceptuels visant à souligner certaines problématiques sociales et culturelles…Helen Marten se joue des systèmes de référence tenus pour acquis en proposant de nouvelles codifications des éléments du quotidien… Aude Paris joue avec la figure fantomatique du zombie …Lili Reynaud-Dewar trace des perspectives obliques entre sa position d’artiste et celles de différentes figures mythiques du combat pour l’égalité raciale et des revendications identitaires…, Tom Sachs se consacre aux liens entre l’esclavage et le totalitarisme d’un corps humain perfectionné jusqu’à la désincarnation….
On voit donc, dans ces exemples, que la note d’intention, le projet, la posture, le process, la recherche, l’exposé du problème, l’alerte, la question en soi, se suffisent à eux-mêmes, priment sur toute réponse ou éventuelle résolution, et d’une certaine manière l’oblitèrent. Car autant l’art véritable « ne cherche pas mais trouve » (comme disait Picasso), apporte des solutions apaisantes, calme le jeu, met en forme et transcende les douleurs, autant cet art faussement subversif de l’hyper-communication à vide, exaspère les tensions, attise les angoisses et les tensions sociales, exploite sans vergogne les souffrances , etc. pour mieux faire du buzz , qui ensuite génère de l’argent. Et pensons, dans ce registre du cynisme cattelanesque de haut niveau , à cet artiste international, dont les œuvres « dénonçant le pouvoir de l’argent » sont vendues à des prix exorbitants à des collectionneurs milliardaires… Il ne figure pas dans cette biennale, mais la plupart des exposants ont une homologie avec lui dans l’utilisation systématique de ce principe de retournement pervers du sens ( voir aussi plus loin l’histoire de Banksi )
Et nous sommes en effet confrontés ici à cette logique ahurissante qui consiste à retourner la contestation d’un système comme argument marketing en faveur de ce même système. Et nous voyons ici des sortes de pèlerins de l’art contemporain, qui viennent à la Biennale comme d’autres au Vatican , à Katmandou ou à la Mecque, se raffermir la foi en l’art et en l’homme, pour mieux , ensuite, rouler de la mécanique intellectuelle, étonner les collègues de bureau, pavoiser socialement et se valoriser d’autant plus qu’ils pourront dire fièrement que tout était « complètement nul»… conformément à ce même principe de retournement, de négation positivante, ou de disqualification qualifiante.
Mais ce qu’il y a de plus terrifiant dans ce grand guignol morbido-festif, dans ce Guiness book des records de l’inepte rigolo, dans ce Barnum Circus des monstruosités artistico-ludiques, dans cette foire aux atrocités mentales à la portée de chacun, dans cette fête à neuneu pour neuneux culturolâtres, etc , c’est la violence infuse, inhérente, consubstantielle à toute stratégie de com’, faite au sens commun et aux valeurs partageables. Violence de l’œil poché, de la bulle qui va exploser, de la tête de cochon qui sera égorgé, de l’interpellation insultante et grossière faite au public par ces affiches. Violence gratuite de la fausse énigme de ces images ostensiblement nulles, comme des rébus sans solution, sans contenu, sans humour, sans poésie. Violence faite à l’intelligence et à la dignité humaine avec ce slogan du Groupe Partouche qui est l’un des deux casinotiers sponsors principaux de cette mascarade artistique: « La culture pour tous, partout, Partouche ». Violence du sentiment d’impunité devant cette financiarisation de la crétinerie ludique et de la vulgarité polychrome. Violence du sentiment de vertige devant une telle abyssale béance du sens. Violence de l’attaque au porte-feuille du contribuable pour payer cette promotion et cette valorisation du financial –art international.
Violence faite aux populations sub-urbaines avec cette opération au nom ridicule de « maisonveduta », particulièrement odieuse de démagogie, et qui consiste à placer des produits du grand marché spéculo-financier dans les foyers modestes de banlieue : L’esthétique des milliardaires à la portée des « petites gens », c’est ça , et je vous conseille à ce sujet de lire « La violence des riches » , récent ouvrage du couple de sociologues, Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, (Editions Zone) sous-titré « Chronique d’une immense casse sociale », et où l’art contemporain est cité comme instrument d’assujettissement culturel, d’aliénation insidieuse, et « qui creuse la misère sociale en même temps qu’il fait grossir les grandes fortunes ». ...( sommet d’impudence récupératrice: on apprend qu’une famille de Roms a été invitée à participer à une sorte de performance)
Violence enfin, faite aux responsables politiques qui n’en pensent pas moins, mais restent tous, terrorisés et tétanisés devant l’ampleur et la complexité de ce phénomène médiatico artistico-culturel, qui a la dimension exacte de la grande finance internationale auquel il est indexé, et sur lequel ils n’ont donc aucune prise, ni au niveau local, ni au niveau national. ( Voir le passage furtif, en catimini et presque honteux, de notre Ministre de la Culture pour l’inauguration de cette Biennale).
Alors oui, je crois qu’il est temps de dire ce dont il s’agit exactement, de s’extraire de l’hypocrisie, de démonter la supercherie, d’analyser les choses en amont de cette énorme imposture au service des réseaux de pouvoir et d’argent, devant cette cérémonie invraisemblable, où les pauvres exploités vont se prosterner devant les objets liturgiques voués à la célébration des hautes vertus culturelles des riches exploiteurs , devant cette enfumage toxique qui brouille les pistes, qui injurie et se moque de tout le monde, qui fait pleurer de rage les vrais artistes.
Il faudrait, chers collègues critiqueurs d’art, mondains, bénévoles, intermittents ou professionnels, oser maintenant aller au-delà des habituels commentaires d’un débilitant anecdotisme, dans le genre de ce que j’ai pu déjà entendre : « c’était beau, c’était pas beau », « c’était globalement nul », « j’y ai rien compris », « c’était mieux ou pire que la précédente », » c’était rigolo », « Même Restany n’y retrouverait pas sa bouteille de Whisky », « J’y ai noté la présence de Madame Orlan et de Monsieur » ; « On a regretté que le cochon émergent sur la scène artistique internationale, de l’affiche, n’ait pu venir au vernissage », « Il paraît que le performeur de renommée international nippo-yémenite , Fukusama Benladen, qui a signé le récent tsunami ravageur des côtes japonaises, a été interdit de vernissage », « « j’ai bien aimé l’homme nu, assis par terre jambes écartées et en semi érection» , « L’artiste dont l’oeuvre consistait à supprimer la partie gauche de la moustache du Directeur de la biennale, pour protester contre la déforestation de la forêt amazonienne, a été injustement écarté de la sélection », « L’artiste à l’œil poché à été félicité par Madame la Ministre de la culture, pour son courage intellectuel», « « mon beau-frère a bien aimé », « je nique ton nar contanporin », « rien que des plaisanteries », ou bien, dans le meilleur des cas : « je n’ai trouvé que 2 ou 3 choses intéressantes », etc. .. Oui, car même si l’on peut y trouver quelques œuvres qui sont de l’ordre de la vraie création artistique, par on ne sait quelle fâcheuse erreur de casting curatorial, il n’empêche que l’ensemble relève, à mon avis, de la catastrophe culturelle majeure, que les dégâts résultants de cette sorte d’empoisonnement collectif des consciences sont considérables et peut-être irréversibles . .. Imaginez une Biennale du vin contemporain, où l’on arriverait, par la seule force persuasive de la pub, à faire boire au public du vin du même tonneau que cet « art –là » … Imaginez les ravages dans les tubes digestifs…à la mesure des ravages , beaucoup plus insidieux, que cet « art-là » fait dans les cerveaux et dans les cœurs…et pensez surtout aux milliers de jeunes vrais créateurs de nouvelles formes ainsi occultés, méprisés et asphyxiés par cet enfumage médiatique au profit de tous ces petits faiseurs opportunistes, formatés au « processuel discursif » internationaliste… Quel gâchis !
Et dites-moi si j’exagère, quand je vois cet événement comme un gros tsunami de stupidité qui s’abat sur la cité, comme un gros paquet d’art néolibéral dans une énorme déferlante d’immonde bouillasse noirâtre et puante, détruisant tout ce qu’il y a d’artistiquement et humainement honorable et vivant … Comme les flux financiers incontrôlés qui écrasent l’humanité. "
Les chiffres de la Biennale
Le budget global pour cette édition 2013 est passé à 9, 25 millions d’euros, soit 30% de plus que la précédente… 44% de fonds publics et 56% de fonds privés , dont mécénat. 3,5 millions d’euros vont à la rémunération des 400 personnes mobilisées au moment de la BAC et aux salaires des 25 permanents. On attend pour cette année, un peu plus de 200 000 visiteurs (y compris les scolaires de tous âges, amenés en force), soit 30% de plus qu’en 2011.
Soit au minimum 50 € le coût du visiteur, pour un billet d’entrée à 13 € en moyenne
Notons également que deux expositions successives au Musée des Beaux-Arts de Lyon, bénéficient de la même fréquentation, pour un budget 10 ou 15 fois moindre, et un tapage médiatique 100 fois moins important… mais il est vrai que le contenu artistique de ces expos ( comme celle de Joseph Cornell qui va avoir lieu du 18 octobre au 2 février ) est 100 fois plus dense et intéressant… Ceci compensant cela … Et heureusement qu’il existe encore des lieux comme le Musée des Beaux-arts de Lyon, qui restent dignes, qui respectent l’art et son public et ne prennent pas ce dernier uniquement comme une cible marketing, qui font un vrai travail de développement culturel à long terme, et qui font honneur à la ville. (signalons aussi l’exceptionnelle expo Rouault au Musée de Fourvières et celle des Poirier au Couvent de la Tourette)
Car si les bénéfices économiques et médiatiques, à court terme, de cette biennale sont indéniables, les préjudices, à long terme, vont s’avérer considérables. Et il serait bien que les politiques, même si, pour l’instant, ils ne peuvent rien faire contre ce désastre, s’en rendent au moins un peu compte.
Vous pouvez retrouver ces chroniques
En tapant Nicole Esterolle sur Google
Ou en allant sur les sites : www.schtroumpf-emergent.com
Sur le site québéquois : http://levadrouilleururbain.wordpress.com/2013/09/29/la-biennale-dart-contemporain-de-lyon-un-fukushima-culturel/
Sur le site Sauvons l’art !
http://www.sauvonslart.com/modules/news/article.php?storyid=68684
sur Mic Mag, le magazine des médias libres :
http://www.micmag.net/index.php?option=com_content&view=article&id=2465:la-biennale-dart-contemporain-de-lyon-un-fukushima-culturel-&catid=10:voix-libre&Itemid=22
sur http://ragemag.fr/ et ( en anglais ) sur le site US, subversify.com
http://subversify.com/2013/04/18/its-official-marcel-duchamp-is-more-contemporary/
et l’interview-profession de foi au magazine en ligne languedocien idem.mag http://www.idem-mag.com/nicole-esterolle/
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